L'Épitaphe de Seikilos est la plus ancienne partition musicale complète au monde: son texte en grec et ses signes de notation musicale remonteraient à deux siècles avant J.-C. Oui, on peut la chanter. Et elle le sera, chantée, au cours du spectacle La nuit aux 1000 oreilles donné lundi prochain par l'excellent groupe Constantinople, accompagné de la chanteuse grecque Savina Yannatou. Vingt-trois siècles plus tard...

Dans le petit café de la rue Saint-Denis, c'est avec une réelle émotion que se penchent sur la reproduction de l'Épitaphe la journaliste et Kya Tabassian, directeur musical du trio Constantinople, né à Téhéran, mais vivant au Québec depuis 19 ans, enfin joueur émérite de sétar (luth perse à trois cordes).

 

Ce «morceau» de musique, ainsi que des dizaines de fragments de partition très anciens, Constantinople les a utilisés pour composer la musique du spectacle La nuit aux 1000 oreilles. Pourquoi ce titre? Parce que ce sont des mots tirés, eux, d'un poème de la grande poète grecque Sappho, qui vécut quelque sept siècles avant Jésus-Christ. Et, outre l'Épitaphe, les poèmes de Sappho - ce qu'il reste puisqu'un seul nous est parvenu dans son intégralité - seront aussi du nouveau spectacle de Constantinople.

«C'est la première fois que nous travaillons avec des sources aussi anciennes, explique avec passion Kya Tabassian. Nous ne sommes pas des musicologues, mais ce répertoire nous touche énormément. C'est à partir d'un poème de Sappho que l'idée m'est venue: il y a deux ans, on m'a remis un livre de ses poèmes traduits en anglais, et un vers m'a vraiment bouleversé: «Someone will remember us, I say, even in another time».» Quelqu'un se souviendra de nous, je le crois, même en d'autres temps...

«Je trouvais très touchant que, plus de 2500 ans plus tard, il y ait ce lien entre elle et nous, reprend Kya Tabassian. Notre approche a été de nous inspirer de la musique qui existait à l'époque pour ses poèmes, qui sont en grec ancien. Et dès le départ, il nous est apparu qu'il fallait une chanteuse qui parlait grec.»

Cette chanteuse, c'est Savina Yannatou, qu'on pourrait comparer à Loreena McKennitt par la beauté de la voix, l'ouverture d'esprit et les connaissances musicales. De formation classique, elle a marié musiques moyen-orientale et occidentale jusqu'à pencher vers le jazz contemporain et l'improvisation. Avec ou sans son groupe Primavera en Salonico, elle a enregistré 15 albums en 11 ans. «En septembre dernier, à Vienne, j'ai donné un premier spectacle avec Constantinople (car, outre ses spectacles au Québec, Constantinople donne annuellement une trentaine de représentations dans le monde entier) avec mon répertoire séfarade, explique de sa belle voix Savina Yannatou, en direct de Grèce. C'est ensuite chez moi, à Salonique, que nous avons fait quatre jours de résidence pour ce projet. C'était la première fois que je travaillais ainsi: improviser à partir d'un répertoire très ancien, tenter de combler les trous des fragments - un peu comme ces fresques anciennes partiellement effacées dont on comble mentalement les manques -, utiliser des mots et des musiques d'un autre temps, mais aujourd'hui.»

Car c'est le plus fascinant de l'histoire: «Avec du matériel si ancien, si fragmentaire, explique Kya Tabassian, la seule voie possible était de nous rendre à la frontière de la musique contemporaine, avec parfois seulement deux notes tenues pendant une minute...»

Pour qu'on apprécie la beauté des textes de Sappho, Kya et son frère Zya (percussions) ainsi que Pierre-Yves Martel à la viole de gambe, ont demandé à D. Kimm, âme du festival Voix d'Amériques, de réciter en français les poèmes de Sappho, lundi. Ils ont également fait appel à la clarinettiste Lori Freedman, bien connue pour ses explorations en musique contemporaine et en jazz. Le spectacle sera également présenté en France l'automne prochain. Car Constantinople s'est souvenu de Sappho, en d'autres temps...

Constantinople, La nuit aux 1000 oreilles, lundi, dans le cadre de Montréal en lumière, au Centre Pierre-Péladeau.