En 2001, les problèmes de l'Opéra de Montréal devenaient morbides. La principale cause de désabonnement de ses clients? Le décès. Même si la situation n'est pas aussi critique ailleurs, toutes les institutions et compagnies de théâtre, danse, et musique sont confrontés à la même menace: le vieillissement de leur public. Voici ce qu'elles font pour intéresser les jeunes. Et ce que les jeunes aimeraient qu'on fasse de plus pour les attirer.

*** QUE FAITES-VOUS POUR ATTIRER LES JEUNES ?

OPÉRA DE MONTRÉAL

C'était une saignée. De 1995 à 2008, le nombre d'abonnements de l'Opéra de Montréal a chuté de 12 000 à 5182. «En août dernier, nous avons donc lancé une vaste campagne pour séduire les 18-30 ans, raconte Pierre Vachon, directeur des communications et du marketing. On veut leur montrer que l'opéra n'est pas un art élitiste pour les mesdames à perles.» Avant chaque première, les chanteurs descendent en jeans au métro pour interpréter des extraits de la nouvelle production.

L'Opéra cible aussi directement les jeunes dans certaines de ses nouvelles pubs, déguisées en fiche d'une agence de rencontre.

L'offensive se fait également sur le terrain des prix. Et les résultats se ressentent déjà. En seulement une année, le nombre de jeunes abonnés a augmenté de 45%.

ORCHESTRE MÉTROPOLITAIN DU GRAND MONTRÉAL

Les jeunes n'atterrissent pas par magie dans un concert de musique classique. La famille et l'entourage jouent un rôle déterminant, rappelle Luce Moreau, directrice de l'Orchestre Métropolitain du Grand Montréal (OM). «L'année dernière, nous avons signé 582 contrats avec de jeunes musiciens surnuméraires. Quand ils jouent en concert, ils invitent leurs familles et amis.» 

Reste que seulement 9% des abonnés de l'OM ont 25 ou moins. L'OM a donc lancé le programme «Jeunes mélomanes en devenir». On invite notamment les étudiants à rencontrer le jeune maestro charismatique, Yannick Nézet-Séguin. «C'est important, car pour apprécier une oeuvre, il faut la comprendre», explique-t-elle.

L'OM mise aussi sur le prix. Cette année, il a baissé à seulement 15$ le coût d'un billet étudiant.

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL (OSM)

Même s'il constate que son public vieillit, l'OSM assure ne pas être inquiet. «C'est une situation qu'on surveille», dit simplement Marie-Josée Desrochers, directrice des communications et du marketing. Elle indique que l'âge moyen de son public est semblable à l'âge moyen de la population, soit environ 50 ans.

Mais sa catégorie «jeune» vieillit. Pour la prochaine saison, les tarifs spéciaux d'abonnement de l'OSM seront offerts aux moins de 35 ans, plutôt qu'aux moins de 30 ans.

MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE MONTRÉAL (MBAM)

Au récent lancement de l'exposition Tiffany, il y avait des DJ, VJ et des éclairages de spectacle. «On fait maintenant des soirées de premières pour nos expositions, explique Danielle Champagne, directrice des communications au MBAM. Cet automne, au lancement de Waterhouse, on présentait un film de Melissa Auf der Mar (ex-bassiste du groupe Hole), avec un côté plus trash.»

Un sondage sera bientôt mené pour obtenir un profil des visiteurs.  Mais le Musée n'a pas attendu les nouveaux chiffres pour courtiser davantage les jeunes. Ses expos portent maintenant souvent sur des sujets populaires auprès du jeune public (Yves Saint Laurent, Andy Warhol, John Lennon). Et le Musée est ouvert certains soirs de semaine pour les accommoder.  

MUSÉE DE L'ART CONTEMPORAIN (MAC)

«Le public naturel de l'art contemporain a moins de 40 ans, alors le phénomène du vieillissement nous touche moins», indique Éric Bilodeau, directeur des communications au MAC.

Cette clientèle compose encore 75% de ses visiteurs. Le Musée a néanmoins lancé de nouvelles promotions pour attirer plus de jeunes. La soirée «vendredi nocturne» revient une fois par mois, avec un concert de groupe chouchou de la scène locale comme We are Wolves ou Besnard Lakes. Une activité était aussi organisée à la dernière Nuit blanche. Pas moins de 17 000 personnes y ont participé.

Comme les autres institutions, le «On offre aussi des ateliers de bricolage les dimanches après-midi, où les plus jeunes peuvent reproduire les oeuvres vues, dit M. Bilodeau. Et il y a des camps de jour l'été et durant la semaine de relâche.»

THÉÂTRE DU NOUVEAU-MONDE (TNM)

Au TNM aussi, la catégorie « jeunes » vieillit. Depuis cinq ans, le théâtre offre des spéciaux aux étudiants de 25 ans et moins. «La promotion commençait à battre de l'aile, alors on l'a ajustée, indique sa directrice communications et marketing, Annie Gascon. Pour la nouvelle saison, elle s'étend aux 30 ans et moins, y compris les non étudiants.»

Le nombre d'inscrits à cette promotion a bondi de 150%. Ses groupes étudiants et scolaires se poursuivent.

THÉÂTRE ESPACE GO

«Nos abonnés restent avec nous, alors notre clientèle vieillit un peu», explique Luc Chauvette, directeur des communications et du marketing au Théâtre Espace Go, officiellement constitué en 1991.  

Comme d'autres institutions, ses spéciaux pour jeunes sont désormais offerts aux 30 ans et moins. «On investit aussi beaucoup les réseaux sociaux, on fait des pubs dans le métro, on organise des rencontres avec les jeunes», dit M. Chauvette.

DANSE - TANGENTE

Le public de Tangente est naturellement assez jeune, explique sa directrice générale et artistique, Dena Davida. « Les sujets, la musique underground, la forme et le contenu de nos spectacles les intéressent.» Le producteur et diffuseur de danse contemporaine essaie d'initier les étudiants, notamment via son programme vendredis scolaires. «Il y a aussi la série danse en famille, ajoute Mme Davida. Un des moments les plus intéressants que j'ai vécus était lors d'un spectacle pour ados de la compagnie Montréal danse. À côté de moi, il y avait des filles qui textaient à leurs amis ce qu'elles voyaient sur scène!»

*** QUE FAUT-IL POUR VOUS DONNER ENVIE DE FAIRE DES SORTIES CULTURELLES ?

«Pour aller voir du classique, il faudrait que ce soit de la musique qu'on connaît, il ne faut pas que ce soit totalement inconnu. Je suis déjà allé à un concert symphonique avec la musique de Star Wars.»

- Christophe Jomphe, 17 ans, cégep de Terrebonne.

«Le théâtre, ça peut nous intéresser. Mais il faut des sujets qui nous touchent. Mon prof de philo nous a amenés voir une bonne pièce sur Montaigne avec des marionnettes. Sans lui, je n'y serais jamais allé. J'aimerais ça, voir plus de spectacles de danse et de théâtre, mais on ne sait pas quoi aller voir. Il y en a plein, je ne sais pas ce qui est bon.»

- Élora Bussière Ladouceur, 18 ans, étudiante au Cégep du Vieux Montréal.

« J'aime beaucoup Schubert, Chopin, Rachmaninoff, Debussy ou encore Gershwin. (...) Plusieurs personnes dans mon entourage ont une bonne culture générale des grandes oeuvres classiques, mais nous connaissons aussi bien les Beatles, les Jefferson Airplane, Nirvana et Eminem de ce monde. Les jeunes aujourd'hui ont une connaissance beaucoup plus variée, peut-être même plus ouverte que les générations précédentes. Pourquoi n'allons nous pas à l'opéra ou aux concerts classiques? Nous ne nous sentons pas à notre place et personne n'agit pour rendre l'expérience agréable! Du guichet à la salle de spectacle je ne sentirai jamais de regard approbateur. Celui qui me vend le billet appelle la sécurité pour m'observer de loin, la vieille dame de 75 ans me regarde en se disant que je vais probablement crier tout le long et la fille qui déchire mon billet me regarde comme si je venais d'une autre planète. (...) Le prix du billet est très cher pour un étudiant (...) Je préfère donc rester chez moi à écouter Vivaldi tranquille dans mon lit quand je reviens du travail et que mon iTunes fasse un cross-fade sur Smells Like Teen Spirit de Nirvana.»

- Guy-Antoine, 20 ans. Extraits d'un commentaire publié le 16 février sur le blogue d'Alain Brunet.

«C'est vrai que la plupart des jeunes ne vont pas voir des spectacles de danse et c'est aussi mon cas. Ce n'est pas que je n'aime pas ce genre de spectacle, au contraire! Seulement, je n'en entends jamais vraiment parler. Lorsqu'il y a une pièce de théâtre ou quelque chose du genre dans la région, il y a beaucoup de publicité: dans le journal, à la radio et à la télévision. Il y en a tellement que les spectacles de danse restent dans l'ombre. Je trouve cela dommage, mais c'est la vérité. Je suis dans un programme d'arts et lettres et on discute seulement de théâtre.»

- Sophie Régimbald, étudiante au collège Nouvelles-Frontières.