Depuis 10 ans, les aventures de Harry Potter ont bercé les rêves de millions d'enfants tout en captivant l'imaginaire des adultes. Le jeune magicien orphelin a aussi représenté une mine d'or pour son auteure, ses éditeurs et les librairies du monde entier. À l'approche de sa mort - sa mort commerciale, s'entend -, plusieurs de ses partenaires d'affaires sont inquiets.

Harry Potter a été sauvé deux fois d'une mort certaine. Par sa mère, qui a sacrifié sa vie afin que son fils échappe aux sombres desseins de Lord Voldemort. Et par Alice Newton, la fille du PDG de l'éditeur britannique Bloomsbury.En 1995, J.K. Rowling, une mère célibataire vivant de l'aide sociale, envoie le premier tome des aventures de Harry Potter à Bloomsbury, une maison d'édition spécialisée dans la littérature pour enfants. L'auteure avait déjà essuyé une dizaine de refus de la part des grands éditeurs londoniens.

Un soir, le PDG de Bloomsbury, Nigel Newton, apporte le premier chapitre du manuscrit à la maison. Il le fait lire à sa fille Alice, 7 ans. «Elle est revenue une heure plus tard, les yeux brillants, a dit M. Newton au magazine Business Week. Elle m'a dit: «Papa, c'est vraiment meilleur que tous tes autres livres.» Elle m'a pourchassé pendant des mois afin de lire la suite.»

Bloomsbury a finalement publié le livre au Royaume-Uni en juin 1997. «Nous avions imprimé 500 exemplaires et ils se sont vendus rapidement, dit Lucy Holden, porte-parole de Bloomsbury, en entrevue à La Presse Affaires. Nous avons dû en imprimer des milliers d'autres. Le livre a ensuite gagné des prix en Angleterre et il a vite intéressé les médias.»

Les actionnaires de Bloomsbury doivent aujourd'hui une fière chandelle à Alice Newton. En 10 ans, la société a vendu 325 millions d'exemplaires des aventures de Harry Potter. Ses revenus ont passé de 13,7 à 109,1 millions de livres sterling (29 à 234 millions CAN) durant la même période.

À deux jours de la sortie de Harry Potter and the Deathly Hallows, l'action de Bloomsbury se transigeait à 182,25£ à la fermeture des marchés boursiers, mercredi. Avant la publication des aventures de Harry Potter, elle atteignait entre 20 et 30£.

L'action de Bloomsbury, qui a obtenu un rendement annuel de 401% en 2000, a atteint son sommet - 272,50£ - en janvier 2004. Depuis, le titre d'essouffle. L'an dernier, il a subi une baisse de 23,9%. Comme les lecteurs, les investisseurs envisagent avec appréhension la fin des aventures du jeune magicien. «La situation de Bloomsbury est relativement précaire», a dit à l'agence Bloomberg Lorna Tilbian, analyste à Numis Securities, une maison de courtage de Londres.

Bloomsbury, qui a multiplié les acquisitions au cours des dernières années, se fait rassurant. «Nous publions d'autres livres qui sont excellents, dit Mme Holden. De toute façon, Harry Potter continuera d'être un classique pendant des années. Et J.K. Rowling a indiqué qu'elle pensait écrire un autre livre, plus encyclopédique, sur l'univers de Harry Potter.»

Un éditeur canadien

Bloomsbury s'est associé à 36 maisons d'édition de par le monde afin de faire découvrir Harry Potter aux jeunes et aux moins jeunes.

Au Canada, une petite maison d'édition indépendante de Vancouver a profité de la manne. «Nous étions déjà distributeurs de la plupart des livres de Bloomsbury au Canada», explique Jamie Broadhurst, vice-président du marketing chez Raincoast.

Raincoast a vendu les 150 premiers livres de Harry Potter au Canada à une librairie pour enfants de Vancouver, en 1998. «Quand nous avons publié le premier tome de Harry Potter, nous pensions qu'il susciterait un grand intérêt, dit M. Broadhurst. Nous avons donc fait imprimer 3000 livres. Après un an, nous en avions déjà vendu 5000. Mais personne ne pensait que nous en vendrions un jour 10 millions...»

Au cours de la dernière décennie, les revenus de Raincoast, une société privée de quatre actionnaires qui distribue les livres d'une cinquantaine de maisons d'édition étrangères au Canada, ont doublé. «Harry Potter nous a permis de faire des profits, mais nos marges bénéficiaires sont serrées, dit M. Broadhurst. Nous cherchons à obtenir une croissance régulière et non à faire un coup d'argent. Après Harry Potter, nous allons continuer d'être très prudents avec nos investissements. Un peu comme la famille Weasley...»

Afin de soutenir sa croissance, Raincoast a dû passer de 70 à 130 employés en 10 ans. «Personne ne tombera au chômage le 22 juillet car nous n'avons pas d'équipe affectée uniquement à Harry Potter, dit M. Broadhurst. Tous nos employés ont travaillé au projet d'une façon ou d'une autre. Beaucoup d'entre eux ont d'ailleurs rencontré J.K. Rowling.»

Les employés de Raincoast n'ont pas compté leurs heures au cours des dernières semaines. À partir de minuit hier soir, 1,3 million de Canadiens voudront savoir si Harry survivra à Voldemort. Raincoast et Bloomsbury ne se posent même pas la question. Pour eux, le jeune magicien et ses millions de revenus disparaîtront à jamais après Harry Potter and the Deathly Hallows.

Et cette fois-ci, Alice Newton, qui a maintenant 18 ans, ne pourra pas sauver son héros préféré.