Les fans voient en lui le plus extraordinaire des compagnons d'aventure depuis l'Alice de Lewis Caroll ou le Bilbo de Tolkien. Mais si on est un éditeur américain, son nom est synonyme de cauchemar: il squatte depuis 43 semaines les premières places du palmarès du New York Times, monopolisant même les trois premières, cette semaine comme la semaine dernière.

Crime de lèse-édition, que commettent ainsi le jeune Harry Potter et J. K. Rowling, respectivement héros et auteure de Harry Potter and The Sorcerer's Stone, de Harry Potter and The Chamber of Secrets et du récent Harry Potter and The Prisoner of Azkaban (lancé en Grande-Bretagne à la mi-juillet et aux États-Unis, le 15 septembre). Ce troisième titre fait un tel malheur que le Time a consacré sa une du 20 septembre au phénomène Harry Potter, et qu'il est sérieusement question d'adaptation cinématographique. Steven Spielberg partirait même favori dans cette course.Là, gageons que la question est sur bien des lèvres: qui est donc Harry Potter? C'est un orphelin et ce n'est sûrement pas par hasard que J. K. Rowling a pris cette voie: tous les enfants ont un jour ce «fantasme», qui se reflète dans plusieurs des oeuvres dont ils ont fait des classiques: du Magicien d'Oz de L. Frank Baum à la trilogie À la croisée des mondes de Philip Pullman en passant par James et la pêche géante de Roald Dahl... Dorothée, Lyra et James vivent sous le toit d'oncles, de tantes ou d'étrangers qui les aiment peu sinon pas du tout.

Idem pour Harry: gamin aux rebelles cheveux noirs, à lunettes, aux yeux verts et à la cicatrice en forme d'éclair sur le front, il est élevé par son oncle et sa tante, les affreux Dursley. Qui n'aiment pas cet enfant dont ils ont hérité il y a dix ans quand ses parents se sont tués dans un accident d'auto. C'est du moins ce qu'ils racontent à Harry. Rien n'est plus faux. James et Lily Potter étaient des sorciers qui ont été tués par le maléfique Lord Voldemort. Celui qui a choisi le côté sombre de la force (tiens, tiens...). Seul Harry a survécu au massacre. Sauf qu'il ne sait rien de cela. Jusqu'à ce qu'il reçoive ses papiers d'inscription pour Hogwarts, l'école des sorciers...

Ainsi s'ouvre Harry Potter and The Sorcerer's Stone, publié en 1997 par une inconnue, Joanne K. Rowling, jeune mère alors âgée de 30 ans, diplômée en littérature française qui, peut-être pour survivre à la déprime post-divorce, a couché sur papier les fantaisies qui trottaient dans sa tête depuis sept ans mais dont elle n'avait jamais eu le temps de s'occuper. D'autres chats à fouetter et les sorcières (J. K. Rowling en est sûrement une!) en ont beaucoup. Des chats.

Succès en Grande-Bretagne. Succès, aussi, aux États-Unis. Un an plus tard sortait Harry Potter and The Chamber of Secrets.

Résultat: avant l'arrivée de Harry Potter and The Prisoner of Azkaban, les deux premières aventures de Harry Potter s'étaient envolées à sept millions d'exemplaires en anglais. Ajoutons à cela 28 traductions. Dont une en français. Qui n'a, sur le coup, pas produit de raz-de-marée.

Il faut dire que, contrairement aux pays francophones, les contrées anglo-saxonnes ont une forte tradition en littérature fantastique, tant pour adultes que pour enfants. De là sont sortis les C.S Lewis, J. R. R. Tolkien, Roald Dahl et, à présent, J. K. Rowling. Difficile de croire à un hasard.

Bref, Harry Potter à l'école des sorciers et Harry Potter et la chambre des secrets, lancés en septembre 1998 et en mai 1999 dans la collection Folio Junior de Gallimard, ont charmé et suscité un intérêt certain mais pas de véritable engouement. Même chose au Québec.

Vint alors la une du Time. Consacrée à un héros de la littérature enfantine. Mais qui, parce qu'il envoûte aussi les adultes, se retrouve sur une vraie (!) liste de best-sellers. «Les quelques exemplaires que nous avions en librairie se sont envolés, indique José Lareau, porte-parole de Gallimard. Nous avons passé une commande urgente. Et nous avons vendu 3000 exemplaires en l'espace de 10 jours.» C'est énorme.

En France aussi, la vague déclenchée par le Time a trouvé écho: l'éditeur est en train, comme cela s'est fait en version originale, de préparer une édition d'apparence plus adulte des romans de J. K. Rowling. Présentation plus sérieuse (!) mais même contenu.

Un contenu qui, lorsque la romancière aura complété le cycle, courra sur sept tomes. Comme les Chroniques de Narnia de C. S. Lewis, auxquelles les «Harry Potter» peuvent se comparer - mieux, en fait, pour l'instant, qu'au Seigneur des anneaux de Tolkien: la première série et ce que l'on connaît actuellement de la deuxième sont moins complexes, donnent moins dans le mystique que la troisième.

De plus, C. S. Lewis et J. K. Rowling ont choisi de vrais enfants pour héros et non des hobbits, elfes et autres nains. Des enfants qui vivent dans notre monde (pas dans la mythique Terre du Milieu) et qui découvrent un passage entre ce monde-là et un autre. Le monde des sorciers pour Harry, que J. K. Rowling décrit avec une simplicité magique, une simplicité qui jamais ne souligne au crayon gras et rend si crédibles les choses les plus folles.

Pour passer d'un monde à l'autre, Pierre et ses amis entrent dans une armoire, Alice passe de l'autre côté du miroir et Harry, lui, prend le train. À chaque début d'année scolaire, il va attendre le Hogwarts Express sur la plate-forme neuf et trois quarts(!) de la gare. Puis, jusqu'au mois de juin, il va étudier. L'alchimie, la transformation, les potions. Il va aussi jouer, en particulier au Quidditch, un jeu qui se joue en balai, à sept joueurs et quatre balles. Et il va aussi lutter pour sa vie. Parce que Voldemort n'en a pas fini avec lui.

Une veine qui permet à J. K. Rowling d'exercer son grand talent de conteuse (sous un abord naïf, ses intrigues sont riches et ses dénouements, très inattendus) et d'assombrir l'univers gentil qu'elle campe au départ. Dans La Chambre des secrets, il est par exemple question de pureté de race: les sorciers peuvent en effet naître de sorciers mais aussi de couples mixtes ou de «Moldus», ainsi nomme-t-on les non-sorciers.

En fait, chacun des épisodes actuellement publié est plus sombre que le précédent. Comme si l'écrivaine prenait le temps de bien établir les règles du jeu (Tolkien l'a fait avec Bilbo le Hobbit, non?) avant de creuser. En complexité, en émotion et en sous-texte. J. K. Rowling démontre entre autres, ainsi et aussi, une conscience aiguë de son lectorat, qui grandit en même temps que Harry, dont elle prévoit sortir une aventure par an, en faisant vieillir son héros en temps réel.

Au fil des récits et du temps, donc, Harry change. Âgé de 13 ans dans The Prisoner of Azkaban, il n'est déjà plus le même qu'à onze (c'est quoi, ce sourire qu'il adresse à la jolie joueuse de Quidditch de l'équipe adverse?!). Même chose pour ses amis: Ron, le timide rouquin et Hermione, une adorable Miss Je-Sais-Tout.

Impossible de ne pas s'attacher à ce trio. Mais J. K. Rowling pourrait prochainement sacrifier l'un de ses membres. Car Voldemort n'est pas un méchant de pacotille. Et ça, c'est drôlement inquiétant. Plus que ne peuvent l'imaginer les simples Moldus, ce que ne sont plus totalement ceux qui se sont laissé imprégner par la magie de Harry Potter.