Au cours des dernières semaines, tant la chanson Rue Ontario de Bernard Adamus que l'Hymne à Québec de Loco Locass se sont hissés au sommet des palmarès des ventes. Comme quoi, la chanson inspirée par un coin de pays a toujours la cote. À la veille de la Fête nationale du Québec, des artistes nous disent pourquoi. Et La Presse vous propose de découvrir plus d'une centaine de chansons du genre grâce à un tout nouveau juke-box sur Cyberpresse.

Prenez une carte du Québec et plantez-y une aiguille sur chaque lieu évoqué dans l'une ou l'autre des milliers de chansons québécoises existantes. Le résultat? Sans doute une mer de petites têtes de plastique multicolores.

Depuis les années 20, époque où l'on a commencé à créer et à conserver des enregistrements sonores, villes et villages du Québec ont été nommés, chantés, louangés dans une multitude de chansons, constatent les experts que La Presse a consultés.

«Il y en a vraiment un grand nombre - des centaines. C'est constant à toutes les époques, tant dans la chanson urbaine que dans celle consacrée aux campagnes, estime Robert Thérien, historien de la chanson québécoise et auteur d'une biographie de Beau Dommage. Presque tous les lieux du Québec ont été nommés.»

Bien sûr, on connaît tous ces lieux qu'ont chantés les Charlebois, Félix et autres Vigneault. Mais, selon M. Thérien, tout un pan de la chanson échappe à une bonne partie de la population. Du moins, à celle qui n'écoute pas de country. Dans cette catégorie, «même les plus petits villages sont évoqués», dit-il.

Comme ailleurs dans le monde, la chanson québécoise a été un puissant outil identitaire, une façon de définir son appartenance. Mais elle n'a pas célébré que le Québec en tant qu'entité. Depuis les années 90, un fort vent souffle, celui des régions, qui ont envie de s'affirmer contre la «grande ville».

Le jeune auteur-compositeur-interprète Jonathan Painchaud vient des Îles-de-la-Madeleine et continue, album après album, d'évoquer son lieu d'origine. Son plus récent disque, La dernière des arcades, comprend «deux ou trois chansons» inspirées de l'endroit. «Je pense que c'est ancré à tout jamais, dit le musicien. C'est un lieu tellement unique, qui ne ressemble à tellement rien d'autre ici qu'on ne peut pas effacer ça. Peu importe comment on évolue et où la vie nous emporte.» Pour vivre aux Îles, dit-il, « il faut que tu apprécies la proximité avec les autres et l'éloignement avec tout le reste».

Avant lui, il y a eu l'Abitibi de Richard Desjardins dans Tu m'aimes-tu? Puis, l'album Pigeon voyageur du Gaspésien Kevin Parent, et les disques de Noir Silence (de la Beauce) et d'Okoumé (des Îles-de-la-Madeleine).

Tout cela est normal, estime Jean-Pierre Sévigny, historien de la musique et directeur du musée des ondes Berliner. Les gens s'attachent à leur coin de pays, aux personnages qui le peuplent. «Notre mémoire affective est liée à cela, dit-il. Ainsi, dans les chansons de Gilles Vigneault, on retrouve des personnages très colorés, des bûcherons, des pêcheurs.»

D'après l'historien, le régionalisme a éveillé les citadins endurcis au fait qu'il se passe quelque chose ailleurs qu'à Montréal. Et même lorsque ce n'est pas le principal objectif, écrire sur sa région peut aussi aider à attirer l'attention des fans. Ainsi, puisqu'il y a peu d'artistes très connus qui viennent des Îles, les gens se servent de ce sujet pour amorcer la conversation avec Jonathan Painchaud. «La plupart de ceux qui viennent me voir me content leurs souvenirs des Îles, leurs vacances aux Îles, leurs amis qui viennent de là, tout ce qui a rapport aux Îles», explique le chanteur.

Jeune peuple en quête d'une charge émotive

L'auteur Stéphane Venne fait une lecture différente du phénomène. À ses yeux, le Québec manque cruellement de lieux, d'événements ou de personnages mythiques pour inspirer les auteurs-compositeurs. «On est un jeune peuple, dit-il. Nos lieux ne sont pas encore porteurs de la même charge émotive qu'en France. Notre patrimoine bâti, nos villes, notre toponymie, notre topographie ne sont pas encore chargés d'histoire.»

«On n'a pas de Broadway ni de Champs-Élysées, souligne Venne. Et parler de la rue Saint-Vallier, c'est quasiment un gag. En soi, la rue Saint-Vallier, ça ne provoque pas d'émotion. C'était plus normal - pour moi, en tout cas - d'écrire Sur la rue de la Montagne du temps qu'elle était mythique: pour ceux qui ont vécu les années 60, et pas seulement les Montréalais, la rue de la Montagne, ça avait une résonance, c'était mythique, c'était le début du grand fun

«Il faudrait qu'il nous arrive des choses, conclut le célèbre parolier. Tout ce qui nous est arrivé, ce sont les plaines d'Abraham. Et on a perdu!»

Selon Paul Piché, les jeunes chanteurs évoquent moins qu'avant l'identité québécoise. «À la fin des années 60, au début des années 70, on a eu besoin de nommer le pays, dit Piché. C'était une façon de dire: "Regardons ce que nous sommes et ce que nous faisons." C'est peut-être pour cela que ça se fait moins aujourd'hui. C'est comme quelque chose d'un peu acquis.»

Il y a une confiance, un sentiment chez les gens - et par ricochet chez les chanteurs - que la province possède sa propre culture, observe Paul Piché. Avec pour conséquence que la chanson d'aujourd'hui nomme moins le pays et traduit davantage de préoccupations plus globales.

Quelles préoccupations? La vie, la mort, l'amour, l'environnement, énumère Piché: «Si on regarde Yann Perreau, Mes Aïeux, Dumas ou Éric Lapointe, il y a toujours une texture sociale dans leurs textes.»