Ce 32e gala de l'ADISQ allait-il être aussi éclaté que les nominations ou que L'autre gala, diffusé lundi dernier? On a eu tout faux: c'est Maxime Landry le grand gagnant, avec quatre Félix, dont deux remis par vote populaire hier (interprète masculin et chanson populaire de l'année), et deux décernés la semaine passée, notamment celui du plus grand nombre d'exemplaires vendus (le vote populaire ultime, celui qui coûte des sous!). Son album s'appelle Vox pop et disons que vox populi, la voix du peuple, s'est exprimée haut et fort hier.

Impossible, cette année, de dire que le vote populaire était «paqueté» par les fans ou que le mode de scrutin favorisait tel ou tel artiste: tout le monde pouvait voter sur l'internet, sans frais. C'est donc par vote populaire que Marie-Mai a été choisie interprète féminine (le Félix de l'album rock a été décerné par un jury spécialisé), que Maxime Landry a gagné ses deux Félix hier, et que Mes Aïeux a été déclaré groupe de l'année, et non Karkwa: oui, Karkwa avait remporté le Félix de l'album alternatif la semaine dernière et, il y a quelques semaines, le prix Polaris du meilleur album rock indépendant canadien. Mais ces prix étaient décernés par des jurys spécialisés. Pas le Félix du groupe de l'année. Quoi qu'il en soit, populaires ou pas, même les membres de Mes Aïeux semblaient mal à l'aise de remporter ce prix.

C'est en fait ce qui frappait le plus, hier soir: l'écart entre ce que les amateurs de musique québécoise aiment et ce que les professionnels choisissent. Les consommateurs ont opté, c'est vrai, pour deux ex-star académiciens... Mais soulignons tout de même que Marie-Mai écrit ses propres chansons et que Maxime Landry a gagné pour une chanson inédite, écrite à son intention (Cache-cache).

Loin du grand public

De leur côté, les spécialistes de la musique ont préféré, dans l'ensemble, souligner le travail d'artistes qui ne sont pas exactement grand public. Par exemple, l'album Silence de Fred Pellerin pour le Félix de l'album folk contemporain de l'année (un conteur qui chante, ça nous change au moins des humoristes!). Ou le spectacle de poésie chantée 12 hommes rapaillés à titre de spectacle de l'année, interprète (alors que Ginette Reno, notamment, était elle aussi en lice): «On peut le dire, a lancé le compositeur Gilles Bélanger hors d'ondes, les 12 hommes rapaillés seront en spectacle de nouveau l'été prochain.» Plus de gens auront donc l'occasion de comprendre le choix - justifié - du jury spécialisé.

Idem pour le choix des spécialistes pour Bernard Adamus dans la catégorie Révélation (dans laquelle était aussi Maxime Landry), car c'est exactement ce qu'Adamus a dû être pour bien des téléspectateurs hier: une révélation, le grand gars étant plutôt absent de tout ce qui s'appelle radios et médias commerciaux et qui a lâché un vibrant «devil câlisse, pis vive la vie» avant de quitter la scène en y oubliant son Félix: «Je ne sais pas si j'appartiens à l'industrie, a commenté Adamus en salle de presse, mais on a traversé pas mal de ponts et on est rendu là.»

Autre choix pas évident? Celui du spectacle Le serpent sous les fleurs de Yann Perreau à titre de spectacle de l'année - auteur-compositeur-interprète, qui faisait notamment compétition à ceux de Vincent Vallières et Coeur de pirate: «J'ai oublié de remercier la metteure en scène tantôt, a tenu à dire Perreau en salle de presse, merci beaucoup, Brigitte Poupart. De plus en plus, mes salles sont pleines. Je n'ai jamais vendu autant de disques. C'est la rançon (sic) de tout le travail que je fais.»

Toutefois, le choix du jury professionnel plus surprenant a certainement été celui de Luc De Larochellière à titre d'auteur ou compositeur de l'année, 21 ans après avoir remporté le même Félix pour la première fois en 1989. On s'entend, ça ne soulignait pas le renouveau, pourtant indéniable depuis quelques années, de notre univers musical.

Par contre, ce Félix démontre une fois de plus que «ce qui compte, c'est de durer», comme le disait Ginette Reno. Or, c'est un combat que l'ADISQ et tous les artistes vont devoir mener: comment durer, comment survivre en cette ère de gratuité extrême, en cette époque où le droit d'auteur n'en mène pas large.

Bredouilles

Les surprises de ce 32e gala sont aussi venues des perdants: Les Trois Accords, Vincent Vallières et Isabelle Boulay, qui comptaient tous au moins quatre nominations, repartent les mains vides. Damien Robitaille, lui aussi en lice pour quatre Félix, a gagné le trophée «industriel» du meilleur scripteur (remis à L'autre gala). Même chose pour Coeur de pirate: quatre nominations, un seul Félix (artiste s'étant le plus illustré hors du Québec, remis lundi dernier).

Dans nombre de médias, l'ADISQ a essuyé des critiques sévères ces derniers jours sur la représentativité des artistes en lice, certaines catégories ayant peiné à se remplir ou l'ayant même été frauduleusement (dans un cas). Le problème est réel, grave, et il va encore falloir retravailler le mode de fonctionnement. Mais cela ne changera pas grand-chose à ce que révèlent les résultats d'hier soir: il y a un grand écart entre le vote populaire et le vote spécialisé. C'est justement pour cela - d'une part, souligner les favoris, d'autre part, encourager des artistes souvent moins visibles - que le gala, avec tous ses défauts, a toujours sa raison d'être.

Photo: François Roy, La Presse

Luc De Larochellière

Les 11 gagnants du Gala de l'ADISQ :

Album de l'année - Folk contemporain: Silence, Fred Pellerin

Album de l'année - Pop-Rock: Nous, Daniel Bélanger

Album de l'année - Rock: Version 3.0, Marie-Mai

Auteur ou compositeur de l'année: Luc De Larochellière

Chanson populaire de l'année: Cache-cache, Maxime Landry

Groupe de l'année: Mes Aïeux

Interprète féminine de l'année: Marie-Mai

Interprète masculin de l'année: Maxime Landry

Révélation de l'année: Bernard Adamus

Spectacle de l'année - Auteur-compositeur-interprète: Un serpent sous les fleurs, Yann Perreau

Spectacle de l'année - Interprète: 12 hommes rapaillés, Artistes variés