Le premier donne dans la musique, le second dans l'humour. Le premier est nommé maintes fois à l'ADISQ, le second en animera le gala dimanche soir. Si les humoristes font vendre plus de billets de spectacle que les musiciens, il y a moins d'élus pour autant d'appelés. Les deux LJ du Québec, Louis-Jean et Louis-José, ont accepté de comparer les milieux de la musique et de l'humour.

Vous vous connaissez bien ?

Louis-José : Je me suis autoproclamé fan de Karkwa à l'époque de l'album Les tremblements s'immobilisent, quand j'ai commencé à animer le gala. Je ne connaissais pas Louis-Jean dans la vie, mais j'ai joué du drum avec Karkwa dans une tournée organisée pour inciter les jeunes à aller voter.

Louis-Jean : Je me suis même retrouvé à lui donner un cours de guitare privé. C'était un cadeau de fête de son ancienne blonde. Il est arrivé avec sa Flying V.

Louis-José : Mais en ce moment, je me dirige vers la basse...

Louis-Jean : C'est tellement facile. Pas besoin de prendre de cours !

Comment se porte l'industrie du spectacle dans vos domaines respectifs ?

Louis-Jean : En musique, ce n'est pas super reluisant, mais il ne faut pas se garrocher tout de suite dans des conclusions défaitistes. Tout fluctue... j'aime beaucoup penser que les artistes feront toujours de la musique. Moi, je fais partie des gens qui se pincent parce que ça marche. Mais je trouve ça triste de voir qu'une amie pense changer de métier, qu'un autre me dise : « Je veux écrire un autre disque, mais je veux faire vivre ma famille. » Je ne sais pas qui est le coupable... Cela dit, je pense qu'on a besoin de réfléchir à la métamorphose du milieu avec l'internet et la multiplication de l'offre. C'est douteux quand je reçois un message privé de quelqu'un qui me dit : « Tu te produisais près de chez nous hier et je ne le savais pas. » Il faut suivre les nouvelles manières de vendre des shows... Mais je parlais de ça avec Jean Leloup : quand tu fais de la musique, tu ne dois pas te poser de questions. Tu fais de la musique parce que tu aimes en faire.

Louis-José : C'est foudroyant, le nombre de spectacles d'humour qu'il y a. Des portes de salle tapissées avec beaucoup plus d'offres qu'en musique. Mais les diffuseurs mènent une business. Les shows sont là parce qu'ils remplissent des salles. En général, les gens ont besoin de rire. Mais il y a aussi le fait que les gens peuvent acheter l'album de Louis-Jean ; c'est un extra d'aller le voir en show. En humour, il faut se rendre dans la salle pour nous voir. La matière première est le spectacle et tu ne connais pas le matériel. Moi, je ne répète aucune joke à la télé et je ne reproduis aucun numéro au gala Juste pour rire, pour que mon show soit 100 % vierge.

De plus en plus, il y a une belle diversité qui s'installe dans la relève. Nous avons ouvert un cabaret l'an dernier [Le Bordel, à Montréal] et nous avons de plus en plus d'humoristes qui ont leur style à eux. Leur but n'est pas de remplir de grandes salles. Il y a un retour aux petites salles. Je le fais moi-même avec des shows cachés, notamment au Cabaret du Mile End [aujourd'hui, le Théâtre Fairmount]. Ce n'est plus le Théâtre St-Denis ou rien comme avant.

En musique, les ventes d'albums sont en recul et beaucoup des revenus proviennent aujourd'hui du spectacle.

Louis-Jean : En même temps, un gars comme Richard Séguin m'a dit dernièrement avoir fait autant d'argent en vendant lui-même des bootlegs de sa tournée solo. De nos jours, l'artiste est de plus en plus indépendant et peut se vendre dans l'internet. Mais c'est certain que, si l'on veut un certain revenu, les ventes de billets parlent. Pour Le treizième étage, j'ai fait le réseau des salles intermédiaires et c'était complet partout. Là, je vends trop de billets, donc je suis dans les grands amphithéâtres d'humoristes. Et parfois, c'est à moitié ou aux trois quarts plein. Ça me fait réfléchir à la notion de choix... Pourquoi je ne me contente pas de faire une tournée acoustique en duo ?

Louis-José : Je sors de mon département, mais, quand je vois Jean Leloup faire plein de Métropolis, et Marie-Mai remplir je ne sais pas combien de Centre Bell, je trouve ça impressionnant !

Pour autant d'appelés, il semble y avoir plus d'élus en musique qu'en humour...

Louis-José : Oui, il y a un clivage entre une douzaine de jeunes humoristes qui font des shows avec leur public à eux et l'autre groupe, dont je fais partie, que l'on peut compter sur les doigts d'une main - des Rachid Badouri et André Sauvé qui peuvent vendre de 200 000 à 300 000 billets. Une sélection naturelle se fait, mais il y a plein d'humoristes talentueux qu'on ne voit pas. Chaque automne, je reçois tout ce qui est recensé à l'ADISQ et il y a 200 ou 225 albums. En humour, on voit moins les essais et erreurs. Mais il y a des humoristes qui réussissent à se produire dans un réseau de petites salles avec un humour niché dépourvu de compromis. Moi, j'ai cette mentalité-là. Je n'ai jamais voulu devenir grand public.

Louis-Jean : C'est toujours le public qui tranche. Les gens ont des coups de coeur.

Louis-José : De loin, je constate que le public en humour est plus fidèle. En musique, le succès semble plus éphémère. J'ai fait 50 fois mon show à guichets fermés à la salle Albert-Rousseau de Québec. Je ne sais même pas si on achète de la pub. C'est le bouche-à-oreille. La musique arrive de partout. En humour, il faut prendre le téléphone ou le clavier et acheter un billet. Il y a un engagement. Si tu vas voir Rachid ou François Bellefeuille avec ta blonde et que tu passes une belle soirée, tu vas sans doute te fidéliser.

Louis-Jean : Au Québec, les jeunes consomment de la musique de partout, mais je ne pense pas qu'ils consomment autant d'humour étranger.

Louis-José : C'est vrai ! Les humoristes consomment tout ce qui se fait aux États-Unis et en Europe, mais je ne croise pas de gens qui me parlent du dernier show de Chris Rock ou de Bill Burr. En musique, vous êtes exposés à une concurrence beaucoup plus large.

Vous diversifiez tous les deux vos activités. Louis-Jean, tu réalises des disques pour d'autres, tu as participé à La voix. Louis-José, tu animes et joues au cinéma. Une inclination naturelle ? Des offres qui ne se refusent pas ? Des revenus essentiels ?

Louis-Jean : Ce n'est pas pour arrondir mes fins de mois. J'ai le goût de réaliser et d'aller voir ailleurs. La voix était un défi. Par contre, si je n'arrive pas à joindre les deux bouts éventuellement, je pourrais faire de la musique de films et de séries. J'ai plein de portes de sortie, mais elles ne sont pas alimentaires en ce moment.

Louis-José : Au cinéma, je joue dans des comédies. C'est connexe à ce que je fais sur scène et ça m'aide à m'améliorer dans des stand-ups. Par contre, je n'ai pas fait de cinéma depuis cinq ans, car je veux donner les quatre meilleurs shows par semaine que je peux. Là, ma tournée se termine en décembre et je fais deux films l'an prochain. Il reste que ma matière première, c'est le stand-up.

À quel point faut-il de la discipline pour réussir ?

Louis-Jean : Je les remarque, les artistes qui manquent de rigueur et ceux qui travaillent vraiment fort. Vu l'état de la musique en ce moment, il n'y a pas de place pour la nonchalance. Il faut être un relativement bon businessman en 2015 et être rigoureux sur le plan de son rayonnement personnel. Quand tu reçois un trophée à l'ADISQ, ne manque pas ton coup dans ton discours. Ne manque pas non plus une occasion. Pour moi, la discipline inclut tout cela.

Louis-José, tu arrêtes même de boire de l'alcool avant le gala de l'ADISQ...

Louis-José : Deux mois, et je fais de meilleurs shows pendant ce temps-là.

Vous avez tous les deux des contacts avec la relève. Louis-José avec le cabaret Le Bordel ; Louis-Jean en réalisant des albums pour des artistes qui commencent (Philippe Brach, Lisa LeBlanc). Auriez-vous la même carrière si vous aviez commencé aujourd'hui ?

Louis-Jean : Il y a toujours une question de timing. Mais Philippe Brach et Lisa LeBlanc sont de bons exemples : ils ne s'arrêtent pas à penser que ça va mal. Ils foncent. C'est clair dans leur tête, comme ça l'était dans la mienne, qu'ils font de la musique. Généralement, avec de la rigueur, un album étoffé va marcher. Aujourd'hui, il y a une facilité à faire des disques. Récemment, j'ai vu un groupe dont j'aime le disque et c'était pourri en show. Je n'écoute plus le disque. On découvre le vrai talent de quelqu'un en spectacle, et cela nous ramène à l'humour.

Louis-José : Un humoriste qui se plante, c'est brutal. Pas impardonnable, mais cela fait mal. Mais moi non plus, je n'ai jamais douté une seconde que j'allais faire ça dans la vie. Je partais dans mon char pour faire des shows en Beauce et j'ai monté mon premier one man show aux soirées de Chez Maurice à Saint-Lazare.

Louis-Jean : Le doute est ton pire ennemi. Dans mon temps, au cégep de Saint-Laurent, il y avait Ariane Moffatt, Marie-Pierre Arthur, Olivier Langevin... Tout le monde avait le pied pesant. Ariane était un bulldozer. Elle jouait déjà avec Daniel Bélanger.

Louis-Jean, ton humoriste du moment ?

Louis-Jean : J'aime Louis-José, mais aussi beaucoup François Bellefeuille. Il m'amène ailleurs. Il a un côté éthéré mais colérique et attachant.

Louis-José, ton album du moment ?

Louis-José : À part Louis-Jean, j'ai beaucoup aimé l'album de Marie-Pierre Arthur. J'aime bien la musique des années 70 et il y a de cela [sur l'album]. Je découvre aussi Philippe Brach.

Vous symbolisez tous deux le succès et l'intégrité artistique. Que faites-vous avec le risque de surexposition médiatique ?

Louis-José : Si on me reconnaît à l'épicerie et que j'ai des conversations avec des gars chauds, c'est pour une bonne raison. Je voulais tellement faire de l'humour dans la vie et j'ai réussi. Mais je n'ai aucun intérêt à être à l'écran s'il n'y a pas de lien avec l'humour. Je ne me ‟pitcherai" pas dans les murs dans des shows de télé. Mon objectif a toujours été de faire de la scène et des tournées. C'est mon lien avec les gens. Il ne faut pas être trop gourmand. Quand tu réussis en humour, on t'offre tout : la radio, la sitcom, l'animation. Moi, par crainte de surexposition, j'ai décidé il y a cinq ans que je faisais surtout des spectacles.

Louis-Jean : Avec La voix, ça a fait pouf. J'ai commencé à faire de la télévision. À un moment donné, je me suis retrouvé à Pénélope McQuade comme coanimateur. J'étais fatigué mort et j'ai failli tomber dans les pommes. Après, ma thérapie pour me ‟grounder" a été d'écrire un disque alors que tout le monde me disait de prendre une pause.

Qu'est-ce qu'un humoriste a à apprendre d'un musicien et vice-versa ?

Louis-José : Plein de choses. J'ai étudié en percussions au cégep en musique et il y avait de longues heures de répétition. J'ai appris la rigueur de ce milieu-là. Sinon, mes shows cachés viennent un peu de l'idée des shows de musique pas annoncés, des bands internationaux qui font de petites salles avant le Centre Bell.

Louis-Jean : La façon de voir un spectacle en général. J'ai gardé ça en mémoire en voyant le show de Louis-José. On rit, mais on pleure avec le numéro sur l'avortement. En musique, il y a une façon anglo-saxonne de juste jouer nos tounes. Depuis que je suis en solo, je me rends compte que c'est important de «scripter» ses shows pour rendre le tout homogène. Il faut lier les chansons.

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Le gala de l'ADISQ est diffusé dimanche, 20 h, à Radio-Canada.

Les choix et prédictions d'Émilie

Groupe ou duo de l'année

• Alfa Rococo

• Galaxie

• Kaïn

• Marie-Eve Janvier et Jean-François Breau

• Radio Radio

Choix : Galaxie

Prédiction : Alfa Rococo

Interprète féminine de l'année

• Marie-Pierre Arthur

• Brigitte Boisjoli

• Isabelle Boulay

• Marie-Mai

• Ariane Moffatt

Choix : Marie-Pierre Arthur

Prédiction : Marie-Mai

Interprète masculin de l'année

• Louis-Jean Cormier

• Marc Dupré

• Jean Leloup

• Alex Nevsky

• Vincent Vallières

Choix : Jean Leloup

Prédiction : Jean Leloup

Chanson de l'année

Rien à faire, Marie-Pierre Arthur

Avant de disparaître, Claude Bégin

Oublie-moi (Carry On), Coeur de pirate

Si tu reviens, Louis-Jean Cormier

Espionne russe, Joseph Edgar

Le monde est virtuel, Serge Fiori

Paradis City, Jean Leloup

Mécaniques générales, Patrice Michaud

Debout, Ariane Moffatt

Les coloriés, Alex Nevsky

Choix : Rien à faire, Marie-Pierre Arthur

Prédiction : Les coloriés, Alex Nevsky

Révélation de l'année

• Bernhari

• Philippe Brach

• Jérôme Couture

• Valérie Lahaie

• David Portelance

Choix : Philippe Brach

Prédiction : Philippe Brach

Auteur ou compositeur de l'année

• Guillaume Beauregard (D'étoiles, de pluie et de cendres)

• Fanny Bloom, Étienne Dupuis-Cloutier (Pan)

• Louis-Jean Cormier, Daniel Beaumont, Martin Léon (Les grandes artères)

• Pierre Flynn (Sur la terre)

• Jean Leloup (À Paradis City)

Choix : Cormier et Leloup ex aequo

Prédiction : Jean Leloup