S'il ne faut nommer qu'une grande chanteuse du monde arabe moderne, on choisit d'emblée Oum Kalthoum (1898-1975). Tout au long de sa carrière légendaire, les meilleurs compositeurs orientaux lui ont soumis leurs chefs-d'oeuvre. C'est le cas de Baligh Hamidi, dont s'est inspiré Ibrahim Maalouf.

De retour à Montréal, le trompettiste franco-libanais s'appliquera à jazzifier une pièce d'Hamidi qu'a immortalisée la diva égyptienne: Alf Leila Wa Leila/Les mille et une nuits.

Composée en 1969, cette suite d'environ une heure comporte un refrain de 3 minutes et des couplets de longueurs différentes, soit de 5 à 25 minutes, très propices à la transe mais aussi à la relecture instrumentale. En fait état l'album Kalthoum, enregistré et mixé à New York avec la même équipe qu'a réunie Ibrahim Maalouf pour son album Wind, paru en 2011: le contrebassiste Larry Grenadier, le batteur Clarence Penn, le saxophoniste Mark Turner et le pianiste Frank Woeste.

«À l'époque où un concert d'Oum Kalthoum tenait de l'apparition divine, le public lui demandait de répéter certaines phrases de ces compositions qui pouvaient durer jusqu'à une heure et demie! Un des principaux points communs entre le jazz et la musique arabe, c'est la place très importante qu'y occupe l'improvisation», explique l'instigateur du projet.

La mission de l'ensemble d'Ibrahim Maalouf - qui sera accompagné ce soir du même noyau de musiciens que sur disque, à quelques différences près: Rick Margitza au saxo, Scott Colley à la contrebasse - consiste à adapter respectueusement les structures, les ornements et le grand raffinement préconisés par Baligh Hamidi.

«Le projet s'articule autour de cette pièce que Frank [Woeste] et moi avons d'abord transcrite à quatre mains avant d'y ajouter des fenêtres qui s'ouvrent sur autre chose complètement», indique Ibrahim Maalouf.

La trompette de son père

Ibrahim Maalouf et ses collègues ont dû s'imprégner de cet esprit oriental afin de mener à bien l'enregistrement de ce très bel opus, tout à fait conforme aux inflexions rythmiques et mélodiques de la musique classique arabe. Pour y parvenir, le leader peut compter sur une trompette à quatre pistons qui lui permet de reproduire le quart de ton typique de la musique arabe - et d'autres grandes traditions orientales.

Cette trompette a été imaginée par le père d'Ibrahim Maalouf, lui-même interprète et pédagogue de haut niveau. Depuis l'enfance, fiston a perfectionné son jeu avec l'invention paternelle, pour ainsi devenir un musicien d'envergure internationale.

«J'essaie d'exploiter cet instrument au maximum. C'est passionnant, car j'écris aussi les premières musiques qui lui sont consacrées. Cet instrument est idéal pour reprendre les parties vocales d'Oum Kalthoum, un vrai bonheur puisque les chants de cette pièce sont extraordinaires», explique Ibrahim Maalouf.

N'allons pas croire que notre interviewé, aussi neveu du grand essayiste, écrivain et journaliste Amin Maalouf, se limite à son patrimoine oriental.

«Je joue de cette trompette dans tous les contextes occidentaux. Il suffit tout simplement de ne pas employer le quatrième piston. Je tiens d'ailleurs à souligner qu'aucun genre musical ne l'emporte dans mon travail: je joue aussi de la musique classique européenne, du jazz, de la pop, de tout! Je ne cherche pas consciemment à amalgamer les cultures et les styles. Je ne cherche rien de particulier... sauf composer des choses qui me plaisent.»

On ne s'étonnera pas qu'Ibrahim Maalouf croie à l'ancienneté profonde de cette notion de métissage culturel.

«Ce mot devenu à la mode est au coeur de ce que proposent les créateurs depuis la nuit des temps. Je dirais même qu'il ne peut y avoir de démarche artistique sans métissage. Or, il se trouve encore et toujours des humains qui ont peur... et voilà pourquoi ils se questionnent sur les mélanges. Il en va de même pour tous les phénomènes de repli identitaire.»

Oncle Amin serait content de lire ça!

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À la Maison symphonique, ce soir, 20 h.