Ça paraît énorme et ridicule quand je le dis - encore plus quand je l'écris -, mais, dans ma vie, il y a eu avant et il y a eu après Bashung. Il y a eu moi qui ne croyais plus du tout au rock en français dans un Québec glauque, post-référendaire et en pleine crise financière. Et il y a eu moi retrouvant la foi après avoir acheté l'album Play Blessures d'Alain Bashung en 1982, par hasard, au cours de mon premier voyage à Paris.

Je n'avais que faire d'un fils de Dieu dans ma vie. Mais trouver un fils de Musique, devenir une disciple du rock sombre et poétique de Bashung, cela m'était indispensable comme l'air, comme l'eau. Alors, comme bien d'autres, je me suis mise à le suivre, j'ai acheté tous ses disques, je suis allée le voir en spectacle dès que je le pouvais, ici comme ailleurs. Et jamais, jamais je n'ai été déçue par ce seigneur étrange, qui maniait les mots, le désespoir, l'érotisme, la violence et la beauté d'une façon unique.

 

Avec Jean Leloup, Alain Bashung est le seul artiste que je n'ai jamais, jamais voulu interviewer. Je ne voulais pas savoir s'il sentait bon ou pas, s'il était brillant ou non, s'il était aussi timide qu'on le disait. Je ne voulais pas savoir qu'il était un être humain. Je ne voulais pas être journaliste. Je ne voulais rien que l'aimer. Rien qu'adorer sa musique. Rien que sentir monter en moi une joie sans nom, sauvage, quand je le voyais sur une scène. Chante seulement une parole, et je serai guérie...

Ça paraît énorme et ridicule quand je le dis, encore plus quand je l'écris. Je le sais. Et je m'en fiche. Parce que, plus grande que ma peine, il y a ma gratitude. J'ai eu la chance d'aimer plus que tout un artiste intègre tout du long. J'ai eu la possibilité de chérir un être qui n'a jamais fait dans la facilité, offrant tour à tour disque plus lumineux et album plus difficile d'accès, parce que la vie est faite d'étoiles et d'épines. J'ai eu le privilège de le voir chanter, avec son étonnant timbre de voix, ses longues mains qui semblaient avoir une vie propre, sa distinction naturelle qui lui donnait un air de prince en exil...

En décembre dernier, je me suis offert un cadeau hors de prix : je suis allée à Paris le voir en spectacle. Et j'ai bien vu que Bashung, mon Bashung, était mourant. Qu'il était presque porté jusqu'à son micro, que ses derniers pas vers le bord de la scène, il les faisait en titubant. Mais je l'ai aussi vu, dès la première note, transporté par la musique, élevé par-delà la douleur par la guitare électrique et le violoncelle, littéralement ravi par la force du rock et de la poésie, empreint de grâce et de dignité par cette fascinante communion qu'on appelle un spectacle...

Et tel un ultime présent, de sa voix intacte, il a fait de chacune de ses chansons une ode à l'une ou l'autre des étapes qui mènent à la mort, de la rage à la paix, de la solitude à l'amour, de la peine à la rédemption, du sordide à l'infinie et incompréhensible beauté de ce monde. Ce monde qui nous a donné Alain Bashung. Ce monde qui n'est plus tout à fait le même pour moi car il faut désormais y vivre sans lui. Ça paraît énorme et ridicule. Alors, pourquoi cela fait-il si mal?

 

LES ESSENTIELS D'ALAIN BASHUNG

1- PIZZA (1981)

2- PLAY BLESSURES (1982)

3- OSEZ JOSÉPHINE (1991)

«Après avoir brillamment investi la pénombre de l'âme dans Novice, Alain Bashung revient à la charge avec la plus nord-américaine de ses productions. (...) Osez Joséphine est simplement superbe.»

Alain Brunet (La Presse, 15 février 1992)

4- CHATTERTON (1994)

«Alain Bashung a comblé ses fans les plus exigeants avec Chatterton, albumqui ne s'apprivoise pas en criant «Gaby», mais qui révèle un incroyable talent, d'une diversité rare.»

Marie-Christine Blais (La Presse, 24 décembre 1994)

5- FANTAISIE MILITAIRE (1998)

«En phase totale avec son époque, et pourtant loin de goûter la saveur du mois, Fantaisie militaire est un de ces disques peu nombreux dont la dépendance croît avec l'usage.»

Jean-Christophe Laurence (La Presse, 14 mars 1998)