En 1969, Stéphane Venne n'a pas 30 ans et compose des chansons rue de la Montagne à Montréal. Sa muse, Renée Claude, doit présenter une série de spectacles l'année suivante. Tandis que les manifestations secouent le territoire, que les moeurs sexuelles se libéralisent, que l'idée d'un pays québécois fait son chemin, Venne capte l'énergie de l'époque en quelques phrases.

«C'est le début d'un temps nouveau / La terre est à l'année zéro / La moitié des gens n'ont pas 30 ans / Les femmes font l'amour librement / Les hommes ne travaillent presque plus / Le bonheur est la seule vertu.»

 

«On faisait arriver les choses, on ne faisait pas qu'en parler!» se souvient l'auteur-compositeur. «Le vrai sujet de la chanson, c'est l'énergie de cette époque.»

En 1969, après avoir bouté les soutanes hors des écoles et des hôpitaux, aménagé des rivières pour y bâtir d'énormes barrages et reçu toute la planète à l'Expo, les Québécois n'avaient surtout pas envie de se taire. «Et chacun a pris ses moyens», se souvient l'ancien ministre Jean Cournoyer, élu en tant qu'unioniste en octobre 1969, défait en avril 1970 avant de revenir avec les libéraux de Bourassa en octobre 1970.

En 1969, les Américains manifestent contre la guerre au Vietnam, et les Québécois marchent pour le français.

La langue d'enseignement est un sujet brûlant et la défense du français chemine avec l'idée d'un Québec indépendant. René Lévesque a quitté le Parti libéral depuis 1967, le Parti québécois a été fondé en 1968 et ses sept premiers députés seront élus en 1970. L'Union nationale est au pouvoir depuis 1966 mais son chef, Daniel Johnson, est décédé l'année précédente. Le Québec est donc dirigé par son successeur, Jean-Jacques Bertrand. «Conservateur et prudent», selon l'historien Paul-André Linteau, Bertrand tranche avec son homologue fougueux d'Ottawa, Pierre Elliott Trudeau, élu en 1968.

Bertrand «n'a jamais vu venir le débat sur la langue», dit Paul-André Linteau. Il ne comprend pas pourquoi, en mars, des milliers de manifestants - certains parlent de 15 000 - scandent «McGill français!» et dénoncent la «domination de l'establishment anglophone de Montréal sur le peuple québécois». Il ne comprend toujours pas quand les anglophones s'emportent après que la commission scolaire Jérôme-Le Royer eut décidé de fermer la seule école anglaise de son territoire pour envoyer tous ces enfants à l'école française.

Quand, le 10 septembre, le bouchon saute lors d'une réunion dans une école de Saint-Léonard, le premier ministre Bertrand réplique, un mois plus tard, avec le «bill 63», qui laisse aux parents le libre choix de la langue d'enseignement de leurs enfants. «On en a mangé toute une!» se souvient Jean Cournoyer. Jean-Jacques Bertrand en avait fait une promesse électorale à Notre-Dame-de-Grâce. «Mais le problème avec Bertrand, c'est qu'il tenait ses promesses.»

Les francophones en colère sont 40 000 à se rassembler devant le parlement le 31 octobre. La loi est adoptée en novembre. Il faudra attendre la loi 22, en 1974, puis la loi 101, en 1977, pour que l'école anglaise soit réservée aux enfants de parents qui ont étudié en anglais au Québec.

Les moeurs évoluent, et les institutions aussi. Les baby-boomers, qui fêtent leurs 20 ans, veulent étudier. Cette année-là, ils obligent le gouvernement à accélérer l'implantation des cégeps, et l'UQAM accueille ses premiers étudiants.

La loi C-150 - mieux connue comme le «bill omnibus» - de Trudeau bouscule les valeurs conservatrices en décriminalisant notamment l'homosexualité et la contraception. Des aberrations sociales sont corrigées: les Amérindiens obtiennent (enfin) le droit de vote au Québec.

Bombes et incendies

Quand la rue prend la parole, ça ne se fait pas toujours de façon pacifique. Certains n'hésitent pas à recourir aux grands moyens. Le 7 octobre, des chauffeurs de taxi en colère contre le monopole de la compagnie Murray Hill envahissent le garage et incendient quatre autocars. Les gardes armés de la compagnie tirent sur les manifestants, font un mort et plusieurs blessés.

Le 13 février 1969, alors que 400 personnes se trouvent sur le parquet de la Bourse de Montréal, une bombe explose. Bilan: 27 blessés. Le premier ministre Bertrand promet une récompense de 50 000$ pour épingler les auteurs. Depuis 1963, le Front de libération du Québec fait exploser des bombes artisanales à Montréal, près des casernes militaires ou dans des boîtes aux lettres de Westmount, qui font quelques victimes. En mars 1969, un felquiste est finalement arrêté.

Mais ça n'empêchera pas, un an plus tard, le FLQ d'enlever le ministre Pierre Laporte qui mourra au cours de sa détention, en pleine crise d'octobre 1970. Le party était fini. Déjà, l'esprit des années 60 s'estompait.

69, année érotique

«Soixant'neuf année érotique», chante Serge Gainsbourg. Au diable les soutanes et la pudibonderie, l'actrice Danielle Ouimet montre ses seins dans Valérie, sorti à l'hiver 1969, et L'initiation, tourné cette même année. Pendant ce temps, le Dr Morgentaler ouvre sa première clinique d'avortement à Montréal et le Canada décriminalise la contraception et l'homosexualité. Et tant qu'à y être, les députés (inspirés?) de la Chambre des communes profitent de 1969 pour légaliser... le sexe oral.

69, année énergique

Un an après l'élection des libéraux à la tête du pays, la trudeaumanie ne s'essouffle pas. En mai, le nouveau premier ministre fait finalement adopter son «bill omnibus», véritable révolution du Code criminel canadien. Du coup, l'homosexualité, la contraception et les loteries sont légalisées, et de nouvelles règles condamnent la possession d'arme, la conduite en état d'ébriété, le harcèlement téléphonique, la publicité trompeuse et la cruauté envers les animaux.

69, année polémique

Une semaine après l'annonce de la fermeture de la seule école anglaise de Saint-Léonard - et l'obligation pour ses élèves de fréquenter l'école française -, l'émeute éclate et une centaine de personnes sont arrêtées. Six mois plus tôt, des milliers de manifestants ont réclamé la francisation de l'Université McGill. En octobre, le gouvernement dépose le «bill 63» sur le libre choix dans la langue d'enseignement, provoquant la colère des francophones.

69, année felquiste

En pleine séance boursière, alors que 400 personnes se trouvent sur le parquet de la Bourse de Montréal, une «superbombe» explose, faisant 27 blessés mais aucun mort. L'attentat est revendiqué par le Front de libération du Québec, dont les engins explosent déjà depuis 1963. Charles B. Neapole, le président de la Bourse, déclare: «Vous pourriez dire que le marché a bondi!»