Attends-moi n'est pas de ces oeuvres courtes et percutantes auxquelles La Manufacture nous a habitués dans les derniers temps. La pièce de la Canadienne Kristen Thomson n'est pas un drame fleuve - elle ne dure qu'une heure trente -, mais se déploie dans la lenteur et baigne dans un flou qui tient autant du rêve que de la tentative délibérée de brouiller les pistes.

Pourtant, au premier abord, rien ne semble plus simple - ni plus banal - que cette histoire-là. Charles (Normand Daneau) veille sa mère mourante. Sa soeur Laura (Marie-France Lambert), qu'il n'a pas vue depuis une éternité, se présente à l'hôpital elle aussi. La vieille dame reçoit également la visite d'une infirmière avenante (Valérie Blais) et d'une mystérieuse patiente en deuil de son bébé (Rachel Graton).

Marie Charlebois (Les Éternels pigistes) aborde cet univers de sensations et d'émotions avec une grande délicatesse. Elle a placé ses acteurs dans un lieu feutré (signé Danièle Lévesque) qui évoque une chambre d'hôpital sans la reproduire. Mais la mourante, elle, n'est pas sur scène.

Kristen Thomson a en effet imaginé que la patiente se trouve au coeur de l'assistance. Charles s'adresse à nous quand il parle à sa mère. Et c'est à nous que Jeanne, l'infirmière, offre ses sourires compatissants et que Laura sert son ironie. À bien y regarder, c'est notre intimité que ces rideaux déployés sur scène visent à protéger.

Plus la pièce avance, plus l'état de la patiente se détériore. Le temps des aveux est venu pour Charles comme pour sa soeur fantasque, qui prétend sortir de prison et qui est interprétée avec brio par Marie-France Lambert. Mais dans le flou du coma, vérité et fiction commencent à s'emmêler.

Attends-moi parle de la solitude des êtres devant la mort. Ceux qui partent et ceux qui restent. D'une manière plus subtile, la pièce tente de distinguer ce qui reste de nous dans nos dernières heures. Est-ce le film de notre vie qui défile devant nos yeux? N'est-ce pas plutôt le film de la vie qu'on aurait voulue? Ou un mélange des deux?

Marie Charlebois manipule habilement cette matière fragile. Or, la pièce s'étire néanmoins dans une agonie qui pèse lourd. Les minutes s'égrènent lentement pendant que Kristen Thomson place les éléments non pas de son intrigue, il n'y en a pas, mais d'un dénouement en deux temps qui complexifie le propos sans vraiment le rendre plus dense. Ou plus touchant.

La deuxième de ces pirouettes narratives tend même à nous éloigner de la douleur du fils pour mettre l'accent sur le drame de la mère, un personnage qu'on ne voit pas, qu'on ne connaît pas et auquel on a du mal à s'identifier. Ainsi, c'est la structure de la pièce qui fait vaciller une production pourtant servie par quatre très bons acteurs.

Jusqu'au 28 mai à Espace Go.