Que faut-il comprendre de la prolongation de mandat de 18 mois que le gouvernement fédéral accorde à la présidente-directrice générale de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait ? Je vous avoue que depuis quelques mois, j’en étais à me dire qu’un nouveau mandat de cinq ans était une forte possibilité. Mais ce petit bout de prolongation me rend perplexe.

Cette nouvelle, publiée d’abord par Le Devoir avant d’être confirmée par Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien et responsable de la société d’État, a surpris tout le monde. Alors qu’on croyait que le processus d’embauche afin de trouver un remplaçant à Catherine Tait était bien en marche, voilà qu’on explique cette décision en disant que « Mme Tait a accepté de rester pour mener à bien plusieurs dossiers cruciaux ».

Interrogé par les journalistes, Pablo Rodriguez a dit qu’avec l’arrivée des lois C-11 et C-18 qui auront un impact sur le diffuseur public, il souhaitait que Catherine Tait assure une « transition ». Cette explication est intéressante, mais s’il veut une vraie transition, pourquoi ne renouvelle-t-il pas le mandat au complet comme cela s’est déjà vu dans le passé, notamment avec Hubert Lacroix (2007-2018) ?

En début de journée jeudi, une source de la direction de Radio-Canada a affirmé à un journaliste de la société d’État que le gouvernement fédéral entend maintenant lancer un processus de sélection dans le but de trouver une personne qui succédera à Catherine Tait. Or, en avril dernier, lors d’une rencontre que j’ai eue avec Pablo Rodriguez, ce dernier me confirmait que le processus était déjà bien « enclenché ».

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien, en entrevue avec notre chroniqueur

« Ça poursuit son cours. Il y a toutes sortes d’impératifs », m’avait confié Pablo Rodriguez. Questionné sur la possibilité d’une prolongation du mandat de Catherine Tait, Pablo Rodriguez m’avait également dit que cela était une possibilité pour cette dirigeante qui a « des forces et des faiblesses ».

On souhaite donc que Catherine Tait assure une transition, notamment dans l’examen par le CRTC du renouvellement de la licence du radiodiffuseur public et la mise sur pied d’une stratégie nationale autochtone de la société. Si la PDG, qui est arrivée en poste le 3 juillet 2018, s’est démarquée par un fort intérêt pour le développement et l’intégration des outils numériques, il faut savoir qu’elle a apporté une grande (trop grande selon certains) attention aux valeurs d’inclusion et de diversité au sein même de la société d’État et dans la façon dont son contenu doit être conçu avant de parvenir aux téléspectateurs et aux auditeurs.

Cette vision est en parfaite symbiose avec celle du gouvernement de Justin Trudeau. En période d’instabilité politique où les risques d’élections sont une épée de Damoclès au-dessus du gouvernement, le maintien de Catherine Tait jusqu’en janvier 2025 ferait-il partie d’une stratégie politique ?

Précisons que la vision de Catherine Tait séduit davantage les anglophones du ROC que les francophones du Québec. Ces derniers n’ont pas apprécié sa mollesse dans l’affaire de l’essai Nègres blancs d’Amérique, de Pierre Vallières.

Il est difficile de savoir si cette prolongation est un geste calculé de la part du gouvernement Trudeau. Catherine Tait l’a mis plus d’une fois dans l’embarras par de nombreux faux pas, à commencer par son intervention auprès du chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, qui ne rêve que d’une chose : mettre la hache dans le financement de la société d’État.

Lors d’une entrevue au Globe and Mail, Catherine Tait a interpellé le chef de l’opposition officielle en dénonçant sa campagne Defund CBC. Elle a aussi tenté de le rencontrer afin de le convaincre de l’importance de la société d’État. Pierre Poilievre a complètement ignoré cette demande. Cette initiative n’a pas du tout plu à Pablo Rodriguez qui s’est empressé de ramener la PDG à l’ordre.

Le ministre a « fait comprendre » à Catherine Tait qu’elle n’aurait pas dû faire ce geste. « Je pense que tout dirigeant doit garder cette neutralité qui est nécessaire dans l’exercice de ses fonctions », m’a-t-il dit.

Parlant de neutralité, il y a aussi eu cette demande auprès du personnel d’Ottawa-Gatineau, dont des journalistes, de prendre part à une marche afin d’honorer les victimes des pensionnats pour Autochtones. Or, il faut savoir que le code de déontologie de ceux qui pratiquent le métier de journaliste avec sérieux interdit toute forme de militantisme.

Qu’elle repose sur des motifs valables ou pas, cette décision de reconduire le mandat de Catherine Tait doit faire l’affaire de l’équipe du ministère du Patrimoine canadien et de son ministre qui a de la broue dans le toupet. L’élaboration des lois C-18 et C-11 a monopolisé toute l’énergie de ses troupes ces derniers mois. Cette nomination n’était pas en haut de la liste.

Il faut maintenant voir comment Catherine Tait utilisera ces 18 mois de règne. Prendront-ils la forme d’une période de mouvement ou de stagnation ? Une PDG à la tête d’une société d’État comme CBC/Radio-Canada peut difficilement apporter de véritables changements alors qu’elle se trouve dans une situation de prolongation qui a une date de fin.

Mais nous vivons dans une époque où les grands mouvements sont souvent inattendus. Je suis sûr qu’il y a plusieurs patrons et employés de Radio-Canada qui réfléchissent à cela en ce moment.

Musée des beaux-arts du Canada

Tiens, parlant de mouvement… Le statut intérimaire d’Angela Cassie, directrice générale du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), ne l’a pas empêchée de brasser la cabane. Alors que nous apprenions que Catherine Tait resterait en place pour quelques mois, la direction du MBAC a annoncé que sa DG quittera l’institution.

IMAGE FOURNIE PAR LE MBAC

Angela Cassie, directrice générale par intérim du Musée des beaux-arts du Canada

Le passage de cette gestionnaire fut pour le moins controversé. Le licenciement de quatre grandes pointures du musée en novembre dernier a fait couler beaucoup d’encre.

Angela Cassie a défendu cette décision par la mise en place d’un plan stratégique intitulé Transformer ensemble et destiné à opérer un virage basé sur l’inclusion et la diversité au sein du MBAC.

La candidature d’Angela Cassie n’a donc pas été retenue pour le poste de directrice générale, qui devrait faire l’objet d’une annonce très bientôt. Françoise Lyon, présidente du C.A., a déclaré il y a quelques semaines que cela se ferait « d’ici à la fin mai ou au début juin ».

Dans le milieu des arts visuels, quelques noms circulent. Certains sont parvenus à mes oreilles. Un candidat proviendrait d’une institution québécoise.

Toujours lors de ma rencontre avec Pablo Rodriguez, en avril dernier, le ministre m’a dit que la nomination d’un nouveau dirigeant était « une urgence ». J’ai très hâte de connaître le nom de celui ou celle qui aura la lourde tâche de remettre cet important musée sur les rails.