Les croque-mitaines se suivent et ne se ressemblent pas, tandis que la peur, elle, est toujours neuve lorsqu’on la ressent. Nous sous-estimons ce sentiment primal, qui sert d’abord à nous sauver la vie, mais qui peut aussi nous pousser à faire des conneries – acheter une maison trop cher parce que le marché immobilier est en feu ou subir une opération botchée par crainte de vieillir, par exemple.

Toutefois, ça peut faire de maudits bons films d’horreur. Chaque époque a ses figures monstrueuses et ses bonhommes Sept Heures. Selon les modes, c’est le vampire, le loup-garou, le tueur en série ou le zombie qui ont eu la cote. Dans l’horreur, il y a des vagues et des creux ; les années 1960-1970 auront été inspirées par la guerre au Viêtnam et le conflit entre l’Amérique profonde et l’Amérique urbaine ; dans les années 1990, le public s’est pris d’affection pour les psychopathes à la Hannibal Lecter et la mode était au thriller psychologique, tandis qu’on méprisait le surnaturel ; enfin, le zombie a fait un retour en force dans les années 2000 (assez pour qu’on commence à sérieusement se tanner) tandis que la torture porn (comme dans Hostel) est apparue dans la foulée de la guerre en Irak.

La peur est une quête d’authenticité, mais aussi d’esthétique. De quoi avons-nous peur aujourd’hui et sous quelle forme ça se présente ? Sans surprise, les technologies ont ouvert de nouveaux chemins de l’épouvante.

Les fantômes ne se cachent plus dans les vieux châteaux, mais dans les cuisines immaculées des maisons de banlieue munies de caméras de surveillance. La franchise Paranormal Activity a ainsi donné plusieurs films où nous avons des plans fixes de pièces très ordinaires, et le frisson est procuré quand un objet se déplace tout seul dans un coin. Mon chum adore ça, il estime que ces films offrent une « dramaturgie des objets », comme disait Ionesco.

Il y a aussi ce que l’on appelle en anglais les « found footages » (des enregistrements retrouvés), le plus célèbre étant bien sûr The Blair Witch Project, à la fin des années 1990. Comme les caméras ont évolué, ce ne sont plus les vieilles pellicules en Super 8 qui servent d’archives : les jeunes adorent le pixel étrange des rubans vidéo. Rappelons que ces images sont pour la génération d’aujourd’hui l’équivalent visuel des films des années 1940 pour les ados de la décennie 1980 !

Meurtre en direct lors d’une discussion en FaceTime, textos provenant de personnes mortes, vidéos snuff ; les possibilités de frayeurs sont nombreuses en jouant avec nos gadgets. D’ailleurs, sur YouTube, Instagram ou TikTok, les courtes vidéos d’horreur sont extrêmement populaires, tantôt présentées comme de vraies « preuves » de phénomènes paranormaux, tantôt carrément comme des œuvres d’art de quelques secondes. Je ne vous conseille pas d’en regarder trop avant d’aller au lit, il y a de quoi cauchemarder toute la nuit.

L’un des phénomènes les plus fascinants depuis quelques années est celui des « liminal spaces », un peu difficile à décrire. Il s’agit d’endroits désertés par la foule, toujours un peu glauques, presque postromantiques, qui inspirent à la fois de l’angoisse et de la nostalgie.

Très prisés des amateurs de ruines récentes, comme ces gens qui vont filmer la catastrophe économique de Detroit – telle qu’on peut la voir dans toute sa tristesse dans l’excellent It Follows – ou des centres commerciaux abandonnés. Un peu comme si cela donnait un avant-goût de ce à quoi pourraient ressembler nos villes après l’Apocalypse. Grâce à cette tendance, j’ai fini par comprendre l’étrangeté ressentie dans mon enfance quand je jouais dans les restants d’Expo 67.

À ce sujet, on a atteint un sommet l’an dernier avec le film Skinamarink du réalisateur canadien Kyle Edward Ball, dans lequel, pendant deux heures, nous voyons des murs et des planchers dans une maison du point de vue de deux enfants qui se sont réveillés en pleine nuit et qui cherchent leurs parents introuvables, tandis que les fenêtres et les portes disparaissent. Un petit culte est en train de se développer autour de ce film inclassable, qui tient davantage du cinéma expérimental que de l’horreur, ce qui n’est pas pour déplaire à Mitch Davis, fier que Skinamarink ait été présenté en primeur mondiale au dernier festival Fantasia, dont il est le directeur artistique. « Je suis très content de voir combien ce film résonne chez un public plus jeune qui n’est pas traditionnellement attiré par le cinéma expérimental », m’explique-t-il.

Il n’y a pas meilleur spécialiste que Mitch Davis pour observer les nouvelles tendances de l’horreur. « J’ai l’impression que celle des ‟liminal spaces” est la plus prononcée que nous voyons, suivie de très près par les films à propos du ‟gaslighting”, dans lesquels un personnage ou le public est amené à douter de ce qu’il voit et entend, comme dans Resurrection, Speak No Evil, Don’t Worry Darling, Watcher, et d’une certaine façon Barbarian. »

Mitch Davis remarque que les publics plus jeunes connectent particulièrement avec la peur existentielle. « C’est compréhensible, avec les inquiétudes sur l’effondrement environnemental et l’impression générale de divisions politiques et sociales qui menacent au jour le jour la stabilité. Aussi, ce sentiment d’impuissance que tant de jeunes ressentent en constatant l’inaction gouvernementale sur les changements climatiques et, aux États-Unis, le contrôle des armes. Et maintenant, il y a aussi le potentiel de perdre l’autonomie de son corps au profit des religieux extrémistes en position de pouvoir. »

Avec cette peur généralisée qui contamine tout le monde et de nouveaux croque-mitaines qui sortent des ténèbres, on peut dire que le cinéma d’horreur a encore de très beaux jours devant lui.