Le prix de deux billets au parterre pour Madama Butterfly de Puccini, jeudi dernier, à l’Opéra de Québec ? 120 $.

Le prix de deux billets au parterre pour Aïda de Verdi, le même soir, au Metropolitan Opera de New York ? 263 $.

Le prix de deux billets au parterre pour Madama Butterfly de Puccini, mardi dernier à l’Opéra de Montréal ? Jusqu’à 1142 $…

C’est cher en Puccini (s’cusez-la) ! Pour tout le reste, comme disait jadis la publicité, il y a Mastercard.

Non, la tarification dynamique n’est pas seulement un fléau qui afflige les concerts de musique populaire au Centre Bell. Cette nouvelle méthode de tarification catapulte aussi dans la stratosphère le prix des billets d’art lyrique à la Place des Arts.

Un billet acheté bien à l’avance pour une représentation à l’Opéra de Montréal ne coûte évidemment pas 591 $. Mais c’était bien le prix exigé par l’Opéra de Montréal pour un billet au parterre, une semaine avant la représentation supplémentaire de Madama Butterfly, le 16 mai.

L’automne dernier, on pouvait se procurer un billet du célèbre opéra de Giacomo Puccini au balcon de la salle Wilfrid-Pelletier pour 35 $. Le prix des billets mis en vente récemment pour Les noces de Figaro de Mozart, prévu en septembre, varie entre 42 $ et 231 $. Pour l’instant. Car les prix indiqués par l’Opéra de Montréal fluctuent au gré des représentations, du temps et, bien sûr, de la tarification dynamique que l’organisme a lui-même mis en place en 2019.

Ce n’est pas Ticketmaster qui fixe les prix de cette tarification dynamique, mais bien l’Opéra de Montréal à l’interne. « Nous sommes d’avis que la tarification dynamique contribue à créer de l’engouement pour l’achat de billets rapidement, car le défi de remplir une salle est bien réel pour notre industrie », m’a expliqué un porte-parole de l’Opéra de Montréal.

Je soulignais la semaine dernière les efforts de Yannick Nézet-Séguin, directeur musical du Metropolitan Opera de New York et de l’Orchestre Métropolitain de Montréal, afin de démocratiser la musique classique et faire sentir au grand public qu’elle lui est aussi destinée.

L’Orchestre Métropolitain a toujours eu à cœur de rendre la grande musique accessible. Il y a 30 ans, même si j’étais un étudiant endetté, j’avais les moyens de payer mon loyer et d’être abonné à l’OM.

L’Opéra de Montréal fait aussi des efforts pour attirer un jeune public et propose « quelques astuces pour économiser » sur son site internet. Des billets à seulement 34 $ sont offerts pour les trois premiers opéras de la saison aux jeunes de 18 à 34 ans et les enfants ont droit à des rabais de 50 %. Les abonnés profitent aussi bien sûr de promotions. Il reste que la tarification dynamique fait monter les prix des autres billets en flèche dès qu’il y a de l’engouement.

Est-ce qu’on trouve normal à l’Opéra de Montréal que des billets soient vendus à l’unité à 500 $ ? « Oui, c’est tout à fait normal, après avoir offert de nombreux rabais et tarifs abordables, qu’on mette également en vente des billets à un prix que le marché est prêt à payer », soutient le porte-parole de l’Opéra de Montréal, en rappelant qu’il s’agit d’un OBNL et que le revenu généré par la billetterie ne couvre généralement qu’entre 40 et 60 % des coûts de production.

Yannick Nézet-Séguin a dit espérer, dans un reportage diffusé la semaine dernière à l’émission américaine 60 Minutes, qu’à la fin de ses jours, plus personne ne dira que la musique classique est réservée aux gens riches et privilégiés.

Personne ne peut prétendre qu’un billet d’opéra à près de 600 $ est à la portée du commun des mortels. C’est un prix exorbitant qui perpétue des stéréotypes sur l’élitisme de la musique symphonique.

C’est une question, non seulement d’image, mais aussi de principe. En acceptant de vendre des billets au plus offrant, selon une stricte logique du marché, l’Opéra de Montréal contribue à repousser aux calendes grecques le moment où une majorité de la population aura l’impression que l’art lyrique n’est pas l’apanage des plus fortunés. Comme ceux que l’on voit dans la plus récente saison de la série télé White Lotus, assistant justement à une représentation de Madama Butterfly au Teatro Massimo de Palerme.

J’ai comparé les prix des billets sur les sites officiels de certains des plus grands opéras du monde. À la Scala de Milan, il en coûte de 10 à 170 euros (de 14,50 $ à 247,50 $) pour voir Le barbier de Séville de Rossini. Pour assister à une représentation de Turandot de Puccini à l’Opéra Bastille de Paris, les prix varient entre 15 et 220 euros (22 $ et 320 $). Ma mère l’Oye de Ravel au Palais Garnier ? De 40 à 95 euros (58 $ à 138 $).

On me dira que ce sont des opéras qui seront présentés l’automne prochain et que les billets vendus à quelques jours de la première seront peut-être plus chers. C’est possible.

En revanche, j’ai trouvé jeudi matin un billet au parterre au Metropolitan Opera de New York pour une représentation d’Aïda de Verdi le soir même. Le prix ? 97,50 $ US (tous frais compris). C’est-à-dire 131,50 $ CAN au taux de change du jour. J’ai aussi trouvé un billet au parterre pour Aïda au Royal Opera House de Londres, la semaine prochaine, à 62 livres sterling (104 $ CAN).

Est-ce bien normal qu’il coûte cinq fois plus cher de se procurer un billet pour une représentation, à une semaine d’avis, à l’Opéra à Montréal qu’à la Royal Opera House de Londres ? Pour le prix de deux billets de dernière minute à l’Opéra de Montréal, on peut se payer deux billets le jour même au Metropolitan Opera ET deux nuits dans un hôtel de Manhattan. Et je ne parle pas d’un hôtel bas de gamme.

Je comprends pourquoi le week-end, ma mère, grande amatrice d’opéra, se contente de voir les opéras du Met sur un écran de cinéma montréalais.