Écailles de poisson frites, viande marinée au siphon, retour de l’espuma (à l’encre de seiche et au fenouil), tofu qui devient tofou et « picklisation » de tous les petits aliments du garde-manger, les candidats des Chefs ! en mettent plein la vue et les assiettes depuis six semaines.

En plus de respecter le produit, le mantra de base, ils le maximisent, au grand bonheur de la tablée des juges, sévères et secs ce printemps, je trouve.

Jean-Luc Boulay, Pasquale Vari, Isabelle Deschamps-Plante et Normand Laprise chipotent, pincent les lèvres et déchiquettent chacun des plats, mais c’est ce qu’on attend d’eux, non ? Qu’ils haussent la température (de la friteuse) et qu’ils déclarent, sur un ton solennel, « mon choix est fait », après un duel relevé.

Maintenant, qui se positionne le mieux pour succéder à Jean-Christophe Beaudin pour gagner la 12e toque d’or de la téléréalité culinaire de Radio-Canada ?

Sur papier, c’est le sympathique et précis Michael Ho, 26 ans, qui se dirige vers la victoire. Le chef de cuisine du restaurant japonais Nama Omakase, qui ouvrira au cours de l’été à Montréal, profite d’une lancée qui l’a catapulté devant la favorite, Élodie Larivière, 36 ans, cheffe de cuisine de la boulangerie-pâtisserie Les Vraies Richesses, à Sherbrooke.

Les deux derniers épisodes – celui des trois sandwichs et des poissons – ont été laborieux pour Élodie, qui n’y a pas percé le top 3. On l’a rarement vue aussi désorganisée et peu en contrôle dans la cuisine.

Derrière Michael et Élodie soufflent Ronan Ulliac, 28 ans, et David Giroux, 24 ans. Originaire de Nantes, le concentré Ronan, qui travaille comme sous-chef à la Maison Boulud de Montréal, a terminé au deuxième rang lundi et on le sent en pleine ascension. Le parcours du souriant David, chef privé à Sainte-Thérèse, dans les Laurentides, est plus chaotique. Il a brillé au défi des sandwichs (on dit un taco, et non un tacosse, merci), pour finir dans le bas du classement, lundi, en raison d’un poisson difficile à apprêter, le satané corégone, membre de la famille du saumon.

Les mots « gâchis » et « massacre » ont même été prononcés pour décrire le filetage déficient de certains concurrents.

Les chances de succès de Félix Emery, 28 ans, et de Raphaël Théberge, 32 ans, paraissent minces à ce stade de la compétition. Quoiqu’à l’émission Les chefs !, tout peut se renverser comme a) un gâteau à l’ananas et b) une sauce gastrique pendant un coup de feu.

PHOTO MARC-ANDRÉ LAPIERRE, TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L’ÉMISSION

Colombe St-Pierre avec la brigade

Contrairement aux éditions précédentes, la classe de Colombe St-Pierre ne contient pas de personnalités flamboyantes, qui ressortent clairement du lot, comme un Amine Laabi (saison 11) ou un Camilo Nascimento-Lapointe, le chef, oui chef, de la saison 10. Ils sont sages et à leur affaire, nos aspirants cuistots de 2023.

J’aime bien cette 12e saison des Chefs !, qui n’abuse pas des revirements improbables et impossibles. Du genre : arrêtez tout, vous devez maintenant cuisiner un repas de cordon bleu au briquet à barbecue, les yeux bandés, avec un bras attaché dans le dos. Vous aurez 12 minutes pour compléter ce défi, c’est parti !

Les épreuves proposées demeurent ludiques, instructives et réalisables, même si la gestion du temps (bonjour Émilie !) s’avère un enjeu majeur pour la nouvelle cuvée. Plusieurs créations de la brigade n’ont même pas été servies aux juges cette année, faute de temps au chrono. Pour paraphraser Jean-Luc Boulay, mon juge préféré, « ils sont un petit peu en retard ».

Les frigos de couleur, les familles olfactives combinées au canard du Québec (faut-il écrire quanard, maintenant ?), l’orgie de pâtisseries ou le relais de type jeu d’échecs (lundi prochain), on n’a pas l’impression que Les chefs ! nous servent du réchauffé, même après 12 chapitres.

Comme téléspectateur, je préfère – de loin – les défis et les duels à l’atelier de la mentore Colombe St-Pierre, que je réduirais davantage, comme une sauce. Parfois, après 30 minutes d’émission, on a l’impression que tout est joué, que le suspense s’est évaporé comme le jus dans une viande trop cuite. Donc, moins de bla-bla et de proverbes, plus de panique aux fourneaux, de trucs qui crament, de « chaud devant », de Colombe qui s’implique sur le plancher et de concurrents qui dressent leurs assiettes en tremblant, tandis qu’Élyse Marquis égrène les secondes à l’horloge.

De lundi soir en lundi soir, Les chefs ! enrichit également notre vocabulaire (le cardeau ne se trouve pas uniquement dans le jeu Animal Crossing sur la Nintendo Switch ?) et transforme des recettes banales en poèmes gastronomiques. Vous préparez une vulgaire salsa rouge pour accompagner vos croustilles Old El Paso ? Dites qu’il s’agit d’un concassé de tomates, façon Yucatán. C’est plus chic.

Vous recyclez des morceaux de vieilles algues dans une soupe touski ? Minute ! C’est plutôt un haché de laitue de mer qui parfumera votre savoureux bouillon. Ta-dam !

Et quand vient le temps de servir les classiques patates pilées, présentez-les comme un écrasé de pommes de terre du jardin, infusé à quelque chose qui sonne très « fancy ». Comme dirait l’autre, c’est pas du resto, c’est Delissio.