« J’espère qu’à la fin de mes jours, plus personne ne dira : la musique classique, ce n’est pas pour moi, c’est pour les gens éduqués, riches, blancs », dit Yannick Nézet-Séguin.

Mine de rien, derrière son sourire jovial et son entrain juvénile, le maestro québécois s’impose comme LE porte-étendard de la démocratisation de la musique classique. C’est ce que l’on retient d’un portrait très flatteur qui lui est consacré par le magazine 60 Minutes, diffusé dimanche dernier sur la chaîne américaine CBS.

Nommé en 2018 à la direction musicale du Metropolitan Opera de New York, qui compte sur lui pour assurer son avenir non seulement artistique, mais économique, Nézet-Séguin est, à 48 ans, l’antithèse du maestro strict, élitiste et inaccessible, souligne dans son reportage le journaliste Jon Wertheim. Tout le contraire du personnage intransigeant et pédant de Lydia Tár, incarné par Cate Blanchett dans le dernier film de Todd Field.

« La musique est gagnante quand tous se sentent libres d’exprimer qui ils sont », dit le Québécois, en évoquant a contrario la tradition d’emprise dictatoriale de chefs légendaires comme Arturo Toscanini. Yannick Nézet-Séguin n’est pas moins exigeant, mais pour avoir assisté à quelques-unes de ses répétitions, il travaille dans la collégialité et la bonne humeur. Ce n’est pas pour rien que les musiciens qu’il dirige – j’en ai rencontré plusieurs, de l’Orchestre Métropolitain comme de l’Orchestre de Philadelphie – semblent l’adorer.

Évidemment, on sait déjà tout ça depuis longtemps au Québec. Il reste que de voir la philosophie de Yannick Nézet-Séguin résumée en une vingtaine de minutes de reportage à l’émission d’affaires publiques la plus prestigieuse des États-Unis (avec une audience moyenne de 8 millions de téléspectateurs) fait plaisir. On ne fera pas semblant d’être imperméable au chauvinisme…

« Je ne me prends pas au sérieux, mais la musique doit être prise au sérieux », confie Nézet-Séguin à Jon Wertheim. C’est en quelque sorte le crédo du musicien québécois. Ce qui concilie ses deux images publiques.

Celle, un brin cabotine, du chef d’orchestre qui se présente devant le public – non pas pour le Ring de Wagner, mais pour l’opéra Champion du jazzman Terrence Blanchard – vêtu d’un peignoir à capuche de boxeur. Et celle du maestro qui n’a pas hésité il y a dix jours à interrompre, deux fois plutôt qu’une, la Symphonie no 9 de Bruckner pendant un concert de l’Orchestre de Philadelphie (qu’il dirige aussi), parce que des téléphones sonnaient dans la salle.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU MET OPERA DE NEW YORK

Yannick Nézet-Séguin

Ce que propose Yannick Nézet-Séguin, généralement en souriant, c’est une révolution. Et pas seulement une révolution de l’image. « Il réinvente le rôle de l’orchestre moderne », déclare Jon Wertheim, avec raison, dans son reportage.

Au Metropolitan Opera, où il est seulement le troisième directeur musical en 140 ans d’histoire – il a succédé à James Levine, congédié à la suite d’un scandale d’inconduite sexuelle –, Nézet-Séguin a insufflé un vent de changement salutaire, tablant sur de nouveaux compositeurs afin d’attirer de nouveaux spectateurs.

Son pari semble fonctionner, dans une institution, la plus importante de son genre aux États-Unis (son budget de fonctionnement est de 300 millions US), qui peinait à renouveler son public même avant la pandémie. Le public est aujourd’hui plus jeune, plus diversifié, et davantage au rendez-vous.

Sous la gouverne de Nézet-Séguin, le Met compte présenter au cours des cinq prochaines saisons 17 œuvres récentes ou inédites, en plus de deux opéras de Terrence Blanchard, premier compositeur afro-américain à voir ses œuvres interprétées par le prestigieux orchestre new-yorkais. Son Champion a été inspiré par la vie du boxeur bisexuel Emile Griffith. « On va continuer de jouer Puccini et Verdi, précise le maestro. L’idée n’est pas de froisser les puristes. Mais s’ils sont froissés, tant pis. Ils n’ont pas besoin de venir voir tout ce que l’on fait. »

PHOTO FOURNIE PAR LE MET

François Girard et Yannick Nézet-Séguin discutent lors de la production de l’opéra Lohengrin de Wagner, au Met.

L’équipe de 60 Minutes a suivi le Québécois non seulement à New York, mais à Philadelphie et à Montréal, où Jon Wertheim a constaté le lien unique qui unit Nézet-Séguin à l’Orchestre Métropolitain. Il se voit et s’entend. L’affection du chef pour « ses » musiciens est manifeste. On le perçoit dans ses échanges avec Yukari Cousineau, violon solo de l’OM, et, bien sûr, avec l’altiste Pierre Tourville, son amoureux de longue date.

« De tous les moments musicaux dans la vie du couple, nous avons été surpris lorsque Yannick a souligné celui-ci : la fois où Pierre et Céline Dion lui ont chanté la pomme dans un populaire talk-show québécois », affirme le journaliste américain, qui a aussi rendu visite aux parents de Nézet-Séguin.

« Bien sûr, c’est un des moments les plus émouvants de ma vie ! », confirme le directeur artistique « à vie » de l’Orchestre Métropolitain à propos de son passage à l’émission En direct de l’univers, animée par France Beaudoin.

J’ai été moins surpris que Wertheim par cette déclaration. J’adore la musique et j’aime l’opéra. Je suis allé voir Turandot de Puccini au Met, quelques mois à peine avant que Nézet-Séguin en prenne la direction. Je suis loin, en revanche, d’être un connaisseur de musique symphonique.

Je m’en suis confessé à Nézet-Séguin – qui l’avait sans aucun doute remarqué –, pendant que je couvrais une tournée de l’Orchestre symphonique aux États-Unis, il y a quelques années. « Quand les gens vont au cinéma, ont-ils besoin d’être des experts pour apprécier un film ? m’a-t-il demandé. Il faut se laisser porter par ce que la musique nous fait ressentir. C’est tout ce qui importe. »

Voyez l’entrevue (en anglais)