Il y a plusieurs questions qui se posent lorsqu’un film ou une série télévisée s’inspire d’une tragédie qui s’est réellement produite. Est-ce que le traitement sera respectueux et à la hauteur du drame qu’ont vécu les victimes ? Mais aussi, est-ce le bon moment ? Où s’arrête le devoir de mémoire et où commence l’exploitation ?

Avec la série Mégantic, réalisée par Alexis Durand-Brault, dont les huit épisodes sont offerts à compter de ce jeudi sur Club illico, la plupart de nos inquiétudes sont balayées sous le tapis dès la première heure.

D’abord, on a mis les moyens pour que le public puisse bien saisir l’ampleur de la catastrophe qui a ravagé le cœur d’une communauté tissée serré, et cela, sans tomber dans le sensationnalisme. Le fait aussi d’avoir choisi des comédiens, tous franchement excellents, qui ne sont pas des vedettes surexposées aide à mettre l’accent sur l’histoire et à s’identifier aux personnages. Enfin, en ayant comme point focal le jour funeste du 6 juillet 2013 au Musi-Café, lorsqu’un train aux wagons remplis de pétrole a déraillé au centre-ville de Lac-Mégantic, le scénariste Sylvain Guy, qui a recueilli les témoignages de dizaines de personnes, entremêle les trajectoires de divers personnages avant, pendant et après la tragédie, ce qui nous permet de nous attacher à eux et de voir l’impact terrible de l’un des plus graves accidents ferroviaires de l’histoire du pays.

Presque 10 ans ont passé depuis que nous avons vu les premières images des énormes boules de feu à Lac-Mégantic qui arrivaient sur les réseaux sociaux. Je me souviens que j’avais peine à croire ce que je voyais et que ça se passait au Québec. Lors de la projection de presse mardi, Sophie Lorain, l’une des productrices, a rappelé que sous ces champignons infernaux, il y avait des êtres humains et qu’ils sont à la base de la série.

D’ailleurs, les Méganticois ont été les premiers à voir les épisodes la veille de la présentation médiatique dans une projection spéciale juste pour eux, et l’accueil a été favorable.

Quand on sait qu’au Canada anglais et aux États-Unis, les studios s’intéressent à ce drame, je suis plutôt soulagée que la première œuvre que nous recevons là-dessus ait été faite par des artisans d’ici et qu’elle ait cette qualité qui n’a rien à envier aux productions internationales.

Je ne pense pas que nous aurions été aussi remués si les comédiens avaient été américains et nous aurions probablement été un peu insultés si la réalisation avait eu l’air misérable.

Quant à savoir s’il est trop tôt pour faire une œuvre de fiction à partir de cette histoire vraie et douloureuse, c’est une question qui se pose à chaque œuvre inspirée d’une tragédie. Tout dépend du sérieux de la démarche et du talent de l’équipe. Les attentats du 11 septembre 2001 ont suscité cette interrogation, et nous avons eu en 2006, seulement cinq ans après, l’excellent United 93 de Paul Greengrass, ainsi que le très pompier World Trade Center d’Oliver Stone. Au Québec, l’autre cas de figure le plus évident serait Polytechnique de Denis Villeneuve en 2009, qui revenait 20 ans plus tard sur l’une des pires tueries de notre histoire et les cicatrices profondes qu’elle a laissées dans notre société.

Il y a beaucoup de tragédies qui n’auront jamais droit au traitement de la recréation qui vient valider les souffrances.

Par exemple, on n’aura probablement pas de film à grand déploiement sur le séisme de 2010 en Haïti, et oserons-nous en faire un sur l’attentat à la grande mosquée de Québec ?

Mais qu’est-ce que ces œuvres apportent au public ? Une communion autour d’un traumatisme collectif, je pense. Je crois au pouvoir de la catharsis, je pense qu’il faut parfois passer par des chemins de traverse pour comprendre certaines choses inimaginables et ressentir de l’empathie. En ce sens, la série Mégantic relève dignement le défi, j’en suis sortie profondément bouleversée. Ces vies fauchées en plein vol, ces secondes et ces hasards qui décident du destin, la culpabilité des survivants, le deuil d’une ville au grand complet, tout y est. On comprend alors qu’on ne se remet pas d’une telle catastrophe, on ne peut qu’apprendre à vivre avec ses conséquences, et pour certaines victimes, c’est tout simplement impossible.

On ne regardera pas Mégantic pour se divertir, c’est à voir à petites doses, je dirais, mais simplement pour ressentir de la compassion envers des gens qui, aujourd’hui encore, tentent de surmonter l’insurmontable.

Mégantic, la série complète sur Club illico, dès le 9 février