En ce moment, la plus grande ambition de l’écrivain britannique Hanif Kureishi est de simplement tenir un crayon. L’auteur de The Buddha of Suburbia, que l’on connaît aussi comme scénariste et réalisateur de My Beautiful Laundrette, est devenu tétraplégique après une chute en décembre dernier.

Depuis, il dicte des textes et des tweets à son entourage dans lesquels il raconte en temps réel ce qu’il est en train de vivre, et cela remue beaucoup les internautes. Entre autres parce que Hanif Kureishi conserve un étrange sens de l’humour dans les circonstances. « Mes lecteurs les plus perspicaces ont déjà remarqué que je suis maintenant plus intime avec la manœuvre de Heimlich que je ne le suis avec le cunnilingus », écrit-il...

C’est troublant, car, on s’entend, devenir tétraplégique du jour au lendemain fait probablement partie du palmarès des pires peurs de l’être humain. J’ai trouvé pénible d’être dépendante de mon entourage quand je me suis fracturé une clavicule il y a quelques années. Tout le long de ma convalescence, j’ai pensé à ceux qui vivent avec le syndrome locked-in (syndrome d’enfermement), où l’on est emmuré vivant dans son corps. Quelque chose qui me terrifie suffisamment pour être incapable de voir un film comme Le scaphandre et le papillon, alors que je me gave de films d’horreur.

Mais être dépendant des autres, que ce soit momentané ou pour le reste de ses jours, est une grande leçon d’humilité. On découvre sa vulnérabilité et il y a quelque chose d’émouvant à voir nos proches s’occuper de nous. Ce n’est quand même pas évident, comme le confie Hanif Kureishi, qui offre aussi à ses lecteurs une infolettre documentant sa catastrophe personnelle, où il promet qu’il parlera de sexe, de drogue, de séries télé et d’écriture.

Une bombe est tombée dans ma vie, mais cette bombe ébranle aussi les vies autour de moi. Ma femme, mes enfants, mes amis. Ce qui semble arriver est que toutes mes relations sont en train d’être renégociées. Ça met tout le monde en colère, ça change tout.

Hanif Kureishi, écrivain

La seule chose qu’il lui reste est de pouvoir s’exprimer, s’il ne peut le faire physiquement, et c’est pour lui une bonne raison de vivre. Il signe d’ailleurs tous ses textes par « votre sansmain », et avoue être profondément touché par les messages d’encouragement qu’il reçoit de partout, ce qui l’empêche de « mourir de l’intérieur ». Tous les jours, son ami Salman Rushdie lui écrit, alors qu’il a perdu l’usage d’un œil et d’une main après avoir été poignardé par un fanatique. Six mois plus tard, Rushdie sera bientôt de retour avec un nouveau roman, Victory City, dans lequel il affirme que « les mots sont les seuls vainqueurs »...

Que peut faire d’autre un écrivain qu’écrire dans une telle situation ? Jorge Luis Borges, mon auteur préféré, a aussi dicté certains de ses meilleurs textes pendant des années après être devenu aveugle, et confirmé les vertus mnémoniques de la poésie que l’on apprend par cœur.

Aidé par des spécialistes, Hanif Kureishi travaille fort pour tenter de retrouver l’usage de ses mains et on lui dit que s’il persiste, il pourra peut-être héler un taxi ou leur faire un doigt d’honneur si les chauffeurs passent tout droit. À 68 ans, il se croyait vacciné contre l’envie, mais il redécouvre ce sentiment pour des choses qui nous semblent des évidences.

J’envie ceux qui sont capables de se gratter la tête. J’envie ceux qui sont capables de lacer leurs souliers. J’envie ceux qui peuvent prendre une tasse de café. Quand je vois un homme saluer sa femme, je ne peux croire qu’il ne voit pas à quel point ce geste est profondément complexe.

Hanif Kureishi, écrivain

D’appartenir maintenant au clan des éclopés lui fait voir le monde autrement en faisant ses exercices pour retrouver un peu de mobilité. « Quand j’ai vu tous ces patients avec leurs corps brisés ou déformés être manipulés et caressés par les physiothérapeutes, quelque chose a changé en moi. J’ai pensé que, si tu ne fais que regarder les nouvelles et les shows télé, tu as l’impression que le monde est un endroit rude, rempli de rapaces et d’individualistes narcissiques. Quand on voit le travail mutuel qui se fait dans ce gym, c’est un endroit de beauté, de collaboration et de respect. »

Nous sommes de plus en plus rares à écrire à la main, il y a même des spécialistes qui s’inquiètent que cette compétence finisse par disparaître avec nos outils technologiques. C’est devenu le plus grand désir de Hanif Kureishi : « Ce que j’aimerais, ce que je souhaite, ce dont je rêve, est d’avoir l’habileté de prendre une plume et de marquer une page, d’écrire mon propre nom à l’encre pourpre. »

Mais c’est quand même grâce à la technologie que, comme écrivain, il parvient à rejoindre les lecteurs (et que ses lecteurs peuvent le soutenir) et à nous rappeler, au travers des mauvaises nouvelles, la fragilité de la vie et la gratitude envers le simple fait de tenir un crayon.

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