C’est fou à quel point l’hiver télévisuel québécois regorge – ou déborde ? – de séries de fiction, à toutes les chaînes, sur toutes les plateformes, de tous les formats imaginables.

Comme le patient atteint d’hépatite C dans STAT, qui a également assassiné son père dans Indéfendable, je perds la carte et entre en convulsions, ici. Au secours, je n’arrive plus à tout voir et à tout suivre.

Être à jour dans mes programmes s’avère une mission impossible, comme un procureur de la Couronne qui affronte un avocat du cabinet Lapointe-Macdonald : il ne gagnera jamais.

Malheureusement pour nos nuits de sommeil déjà écourtées, l’Extra d'ICI Tou.TV ajoute jeudi une autre production très intéressante sur la pile des trucs à voir pendant les prochains jours. Il s’agit du suspense psychologique Les yeux fermés, écrit par Anita Rowan (O’) avec Magalie Lépine-Blondeau dans le rôle principal.

Après avoir englouti deux épisodes d’une heure mercredi, j’aurais volontiers engouffré les quatre derniers pour résoudre l’énigme au cœur de cette captivante minisérie de six heures : le suicide d’un ado de 15 ans, il y a 28 ans, cacherait-il un meurtre ou un autre évènement encore plus glauque ?

Au fil des épisodes des Yeux fermés, l’héroïne Élise Dénommé (très juste Magalie Lépine-Blondeau), une prof de français de 38 ans, remue son passé à la recherche d’indices qui expliqueraient le suicide de son frère aîné Simon (Léokim Beaumier-Lépine), survenu en septembre 1994, à Saint-Jean-sur-Richelieu.

À l’époque, la police locale a conclu à un acte délibéré : Simon Dénommé s’est jeté en bas d’un pont et son corps n’a été repêché que le lendemain. Le hic ? Simon, 15 ans, n’a pas laissé de lettre d’adieu, il n’était pas dépressif et on ne lui connaissait aucun ennemi. Pourquoi aurait-il alors voulu mettre fin à ses jours ? Et pourquoi personne n’a rien vu en amont ?

Rapidement dans ce mystérieux récit, construit en crescendo, on comprend que la mort inattendue de Simon a broyé la famille Dénommé. La maman Lorraine (excellente Anie Pascale, vue dans Aller simple) ne s’en est jamais remise et une relation tordue a ensuite germé entre elle et sa fille Élise, une femme solitaire incapable de s’engager dans une relation amoureuse.

Les souvenirs du suicide de Simon remontent à la surface quand Lorraine, prête à vivre en résidence privée, met la maison familiale en vente. Élise doit alors vider la chambre de son frère Simon, une pièce qui n’a pas été touchée depuis 1994.

Un vieil agenda, des journaux intimes, des photos d’époque et une invitation au conventum de l’école secondaire de Simon ébranlent Élise. Mais c’est un message énigmatique, laissé sur le pare-brise de sa Mini Cooper, qui convainc Élise de replonger dans l’histoire tragique de son frère, ce qu’elle a toujours refusé de faire.

« On a tous joué un rôle dans la mort de Simon, certains plus que d’autres », révèle la note anonyme.

Évidemment, les recherches d’Élise réveillent des fantômes et bousculent sa mère acariâtre et cynique, accrochée à ses souvenirs. Les yeux fermés valse ainsi entre aujourd’hui et 1994, où la reconstitution nous ramène à cette glorieuse époque de lecteurs CD portatifs, de t-shirts de Pearl Jam et de grunge déprimant.

D’ailleurs, la trame sonore du premier épisode – à thématique ferroviaire – se balance entre Runaway Train de Soul Asylum et Le train de Vilain Pingouin. C’est délicieux.

Trois protagonistes des Yeux fermés apparaissent en 1994 et en 2022, ce qui nécessite l’emploi de perruques et prothèses de vieillissement. Cet exercice cosmétique périlleux fonctionne fort bien sur la mère (Anie Pascale) et l’animateur de pastorale, joué par Benoît McGinnis. Comprendre : ces deux personnages (je ne peux pas dévoiler l’identité du troisième) n’ont pas l’air de porter des costumes d’Halloween du Dollarama, on remercie la réalisatrice Jeanne Leblanc (5e Rang) et la productrice Fabienne Larouche.

Et malgré les apparences trompeuses, Les yeux fermés ne revisite pas un cas classique de curé pédophile qui agresse des ados et qui confesse ses péchés 30 ans plus tard. Le scénario creuse plus profond dans un deuil douloureux.

En fait, au-delà des circonstances nébuleuses du suicide de Simon, la série nous immerge au sein d’un clan rongé par la culpabilité, qui n’a pas guéri ses blessures. Dans le passé des Dénommé, c’était déjà tendu, malsain et rempli de secrets.

Dans le présent, les non-dits ont gangrené et entaché la vie de tous les membres de cette famille dysfonctionnelle. On devine que la quête de vérité (et d’émancipation) d’Élise provoquera des bouleversements intimes difficiles chez les Dénommé, qui ne peuvent plus fermer les yeux sur leurs traumatismes, d’où le titre de la série.

Diffusée au courant de la prochaine saison à la télé traditionnelle de Radio-Canada, Les yeux fermés ne compte que six épisodes d’une heure et ne connaîtra pas de suite. Merci, bonsoir, on peut fermer les livres, comme les yeux, après le générique.

Dans ce tsunami de téléséries qui nous envahit, ça fait du bien de s’offrir une petite vite plutôt que de s’engager dans une relation téléromanesque de cinq ou sept ans, non ?