À ce temps-ci de l’année, j’ai toujours un peu la nostalgie du carnaval. Dans les Caraïbes ou à La Nouvelle-Orléans, où j’ai déjà fêté, c’est le gros party pendant des semaines tandis qu’on se les gèle et qu’on morve chez nous. Heureusement, il y a Sophie Fouron qui apporte un peu de chaleur festive dans nos foyers avec l’émission La vie est un carnaval, lancée le 20 janvier sur TV5.

Peu de gens font de la feel-good télé comme Sophie Fouron, une animatrice dont la joie de vivre et la gentillesse sont contagieuses. Si vous n’avez jamais regardé Tenir salon, dont la troisième saison commence le 3 février, toujours sur TV5, faites-vous un cadeau, car vous y verrez un Québec qu’on ne voit pas assez au petit écran. On va à la rencontre des différentes communautés culturelles simplement en s’assoyant dans un salon de coiffure. J’ai ri et pleuré à chaque épisode. Cette saison, Sophie discutera notamment avec une perruquière juive (son équipe a mis trois ans à convaincre des femmes de la communauté hassidique), des barbiers de Montréal-Nord ou des Rwandaises de Québec.

Parce que TV5 est diffusé partout dans le monde, Sophie Fouron se fait plus reconnaître dans la rue à l’étranger qu’au Québec. Elle a commencé sa carrière sur le tard, à la fin de la trentaine, si bien qu’elle est perçue ces derniers temps comme un nouveau visage de la télé, à l’aube de la cinquantaine. « Je défie toutes les statistiques, convient celle qui coanime aussi l’émission Retour vers la culture à ARTV. Plus je vieillis, plus je travaille. Il y a quelque chose de très rassurant là-dedans. Je sens que j’ai vraiment ma place. »

Je pense qu’on avait besoin de ces émissions et qu’on ne le savait pas. Jusqu’à très récemment, la télé au Québec se faisait par les Blancs, pour les “de souche”. Quand je regarde le plateau de La vie est un carnaval, je me dis que ce n’est pas une émission sur la diversité, c’est une émission sur le Québec d’aujourd’hui.

Sophie Fouron

Cette émission de type grand plateau est ultra sympathique et rassembleuse, à l’image de Sophie Fouron. Chaque semaine, en compagnie des collaborateurs de l’édition (Corneille, Tatiana Polevoy, Elkahna Talbi, Kevin Raphaël, Neev, Isabelle Picard et Manuel Tadros), on reçoit un invité (Boucar Diouf est le premier) et on jase d’un paquet de choses. Par exemple, vous entendrez Fabien Cloutier raconter sa curiosité quand, enfant, il a vu pour la première fois un Noir en Beauce et vous verrez Marina Orsini fumer de la chicha, en plus d’apprendre pourquoi il y a des lions de plâtre devant les maisons italiennes, tout en faisant un détour par la soukka d’une famille juive pour la fête de Souccot.

« C’est comme une auberge espagnole, comme si je recevais mes amis à la maison, explique l’animatrice. Tu viens chez moi, tu me parles de toi, de tes expériences, de tes voyages, on va voir une prêtresse vaudou à Laval ou jouer au cricket avec des Pakistanais dans le West Island. C’est infini, les sujets ! »

Et parfaitement conséquent avec tout ce qu’elle a réalisé en télé jusqu’à présent. Elle a dû faire le tour du monde au moins deux fois pour les émissions Port d’attache et Chacun son île, mais elle est bien contente aujourd’hui de nous faire voyager à l’intérieur du Québec par ces gens de tous les horizons, sans trop s’éloigner de son chum et de ses enfants. C’est de famille, se mêler aux autres, car elle est née d’une mère québécoise et d’un père haïtien. « Pour moi, c’est juste normal. Petite, je pensais que tout le monde avait un parent noir, tu sais ! C’est ça, le legs de mes parents, cette ouverture d’esprit et de cœur qui, pour nous, va de soi. »

Sophie Fouron a récemment perdu son père, Jean-Claude Fouron, qui était un grand monsieur. Un médecin spécialiste de la cardiologie fœtale à l’hôpital Sainte-Justine, où il aura travaillé jusqu’à 80 ans. Ce n’est pas sans émotion qu’elle parle de lui, les yeux dans l’eau. « C’était un homme exceptionnel. Il était bon dans tout. Un être aimant, tellement présent, un modèle dans sa relation avec ma mère. C’était vraiment le patriarche. À sa mort, nous avons eu des témoignages de partout dans le monde, car il a vraiment fait rayonner Sainte-Justine. »

Question de génération sans doute, on ne parlait pas de racisme à la table des Fouron, même si Sophie se doute bien que son père a dû en vivre dans sa vie. Elle estime d’ailleurs, sans lui en vouloir, que c’est une discussion qui lui a manqué, car ça la rattrape aujourd’hui, lorsque le sujet est évoqué.

Quand j’étais ado, la différence n’était pas célébrée tant que ça. Il y a maintenant un grand mouvement, voire une révolution, et c’est de ça qu’on a envie : célébrer nos différences.

Sophie Fouron

« C’est intéressant, parce que nous, on décortique beaucoup ça, on l’intellectualise, on a du rattrapage à faire, mais pour mes filles, c’est juste acquis, ajoute-t-elle. Elles grandissent là-dedans, comme le fils de Fabien Cloutier. »

Tenir salon et La vie est un carnaval devraient être des émissions à l’horaire de gens comme Jean Boulet qui, lors de la dernière campagne électorale alors qu’il était ministre de l’Immigration, a déclaré des faussetés sur les immigrants qui ne s’intégreraient pas. « Ce que j’aime est qu’on donne la parole à des gens qu’on ne voit pas beaucoup, souligne Sophie Fouron. Ils ont besoin de se raconter, de se voir et d’être entendus. Il faut s’intéresser à nos voisins qui ont d’autres expériences, d’autres origines. Le but, c’est toujours d’être mieux tout le monde ensemble et de ne pas être chacun dans nos bulles. »

Car pour Sophie Fouron, le bonheur, c’est beaucoup les autres.

La vie est un carnaval, les vendredis, à 21 h, à TV5

Regardez la bande-annonce de La vie est un carnaval

Tenir salon 3, à partir du 3 février, à TV5

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