Par où commencer pour parler (en bien) de la très attendue minisérie La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé de l’enfant chéri du cinéma québécois, Xavier Dolan ?

Il y a tellement d’éléments à décortiquer dans cette œuvre foisonnante et baroque du Club illico, offerte ce jeudi, comme si le réalisateur, scénariste et acteur y avait injecté tout ce qui le nourrit et l’inspire : ses acteurs fétiches, les années 1990, son goût pour les décors chargés, sa fascination pour les personnages féminins forts et fardés, son exploration de la classe moyenne de même que son amour de la musique pop choisie avec soin.

Ces morceaux hétéroclites forment une courtepointe cohérente de cinq épisodes de plus d’une heure – que j’ai tous vus – qui vous hantent après leur visionnement. Pensez plus à l’univers angoissant de Tom à la ferme qu’à celui, plus criard et cacophonique, de Juste la fin du monde.

Xavier Dolan a tout mis dans sa série québécoise de luxe, jouée en joual, tournée en gros plans et portée par une distribution formidable. Par contre, ne vous attendez pas à un thriller glauque à la David Fincher ou à une pétarade de revirements typiques d’un suspense populaire de Netflix. La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé prend son temps. Un peu trop, parfois. La lenteur du premier épisode, qui rebutera les plus pressés, vend mal ce drame familial adapté de la pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard.

Dépouillés de scènes qui nous éloignent du cœur du récit, les épisodes – d’une splendeur visuelle – auraient été plus efficaces et plus captivants dans une formule raccourcie. Serge Boucher (Fragile, Feux) maîtrise parfaitement ce genre télévisuel ancré dans le secret, les remords et la réparation. Xavier Dolan raconte une histoire similaire dans Laurier Gaudreault, mais avec moins de pelures d’oignon, disons.

Sa minisérie repose sur un gros punch, que les amateurs de théâtre connaissent déjà : mais que s’est-il donc passé pendant cette nuit d’octobre 1991, à Val-des-Chutes, pour que deux familles portent encore une immense douleur, 30 ans plus tard ?

On se doute de la nature de l’enjeu, sans toutefois le savoir avec certitude. En 1991, l’adolescente Mireille Larouche (Jasmine Lemée), 14 ans, souffre d’insomnie et s’amuse à entrer par effraction chez ses voisins, pour le simple plaisir d’écornifler. La nuit où Mireille se faufile en cachette dans la chambre à coucher de Laurier Gaudreault (Pier-Gabriel Lajoie), le meilleur ami de son grand frère Julien (Elijah Patrice), tout bascule.

La série valse ainsi entre 1991 et 2019 avec de magnifiques transitions. En 2019, Mireille (campée par Julie Le Breton) rentre à Val-des-Chutes après un exil de 25 ans. Devenue une thanatologue réputée, Mireille a hérité d’une mission à la fois bizarre et délicate, celle d’embaumer sa propre maman Mado (impeccable Anne Dorval), qui a reçu un appel troublant avant de mourir.

Évidemment, le retour en ville de Mireille ramène à la surface de douloureux souvenirs du passé opaque de la famille Larouche. Le grand frère Julien (Patrick Hivon) déteste toujours sa sœur, le petit frère Elliot (Xavier Dolan) sort de désintox et le brave Denis (Éric Bruneau), le plus agréable des quatre, essaie encore de comprendre pourquoi tout le monde s’haït de même, Seigneur.

Ils ne sont pas super sympathiques, les Larouche, qui fument comme des cheminées. On parle ici de gens maganés, multipoqués, qui ont des problèmes de toxicomanie, d’alcoolisme ou de sexualité malsaine. Heureusement que la belle-sœur Chantal (excellente Magalie Lépine-Blondeau), la conjointe de Julien, débarque pour alléger l’atmosphère. Son personnage est 100 % dolanien, avec ses longs ongles colorés, son téléphone Android, son franc-parler de région et son amour du brie fondant aux canneberges (à manger avec un bon verre de malbec). Elle est juste parfaite, Chantal.

Le souci du détail de Xavier Dolan est partout, partout dans Laurier Gaudreault. On voit une tapisserie fleurie, les lunettes de pharmacie de Denis, un bordel esthétisé ou un appartement d’accumulateur compulsif et on sait que Xavier Dolan y a imprimé sa griffe. À l’oreille, on entend aussi le son typiquement Dolan quand une serveuse de resto lance : « Checke-la, elle fait sa fraîche, une vraie catin, une catin de Montréal. » J’adore.

Le quatrième épisode, où ça pète de partout, contient une scène de confrontation épique entre Julie Le Breton et Patrick Hivon qui restera dans les annales. Les deux acteurs y sont brillants. Vraiment, il y a du talent de comédien au pouce carré dans La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé. Même les plus petits rôles (Julianne Côté, Guylaine Tremblay, Sylvie Drapeau) réussissent à sortir du lot.

La trame sonore oscille entre du Monique Leyrac, du Jean Leloup, du Coldplay, du France D’Amour, du Sum 41, du Gabrielle Destroismaisons et, oui, du Céline Dion. Et ça marche très bien. Au troisième épisode, la séquence de karaoké où Chantal (Magalie Lépine-Blondeau) reprend Regarde-moi dans un bar rock est géniale. Comme Euphoria, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé s’aventure dans la nudité frontale masculine, notamment au deuxième épisode qui montre, en flou, un pénis en érection.

Il y a des moments extraordinaires dans Laurier Gaudreault, mais aussi du mou et du superflu, comme les terreurs fictives que vivent les personnages. Rien qu’un coup de ciseaux dans le scénario, ainsi qu’un autre coup sur l’accélérateur, n’aurait pas réglé.