Netflix ne tolère aucun « blackface » sur sa plateforme, peu importe le contexte historique de la série qui le renferme, peu importe l’année de fabrication de l’émission en question et peu importe l’intention derrière le scénario. Il s’agit d’une politique claire, rigide et intouchable de l’entreprise américaine, me dit-on.

Voilà pourquoi le deuxième épisode des Filles de Caleb, où Ovila Pronovost (Roy Dupuis) incarne le roi mage noir Balthazar avec de la cire à chaussure sur le visage, a été retiré de Netflix et qu’il n’y réapparaîtra pas.

Une source chez Netflix parle d’une « décision corporative qui s’applique à tous les territoires, et pas uniquement au Québec ». Des preuves ? Il y a quelques années, Netflix avait retranché le troisième épisode de la troisième saison de Mad Men, où le publicitaire Roger Sterling (John Slattery) chantait la pièce My Old Kentucky Home, Goodnight le visage maquillé en noir. La scène se déroulait alors en 1963 et rendait le suave Don Draper (Jon Hamm) mal à l’aise.

Ne cherchez pas non plus le 14e épisode de la deuxième saison de la sitcom Community, un épisode intitulé « Advanced Dungeons & Dragons ». Netflix l’a aussi enlevé parce qu’il contient une scène de « blackface ». Le personnage du professeur d’espagnol Ben Chang (Ken Jeong) s’y déguise en elfe aux oreilles pointues et à la peau foncée, la face, le cou et les mains grimés en noir.

Netflix applique donc la même règle à toutes les productions qu’il héberge, sans aucun discernement, sans jugement culturel. « Blackface », c’est non.

On coupe. Solution facile et simpliste à un problème plus complexe, qui exige souplesse et réflexion.

Car non, ce n’est pas la chose intelligente à faire que de sabrer tous les épisodes pouvant offenser les téléspectateurs. C’est tellement primaire — et je me retiens de ne pas écrire bête et stupide.

Quand Mad Men a quitté Netflix en juillet 2020 pour réintégrer la grande famille d’Amazon, l’épisode banni du « blackface » a été réintégré au catalogue avec un panneau de longue mise en contexte. C’est également ce qu’a fait Radio-Canada avec le deuxième épisode des Filles de Caleb, en ligne sur l’Extra de Tou.TV. Avant que l’émission ne débute, un avertissement indique que ce « programme est proposé tel qu’il a été originalement créé » et qu’il peut « contenir des représentations sociales et culturelles différentes d’aujourd’hui ».

C’est un bon compromis pour éviter de censurer ou d’amputer des œuvres qui se déroulent à des époques où les mentalités étaient bien différentes d’aujourd’hui.

La séquence controversée des Filles de Caleb, qui dure sept minutes, se passe en décembre 1896. La maîtresse d’école Émilie Bordeleau (Marina Orsini), qui n’a pas encore 18 ans, organise une « séance de Noël » pour les enfants, les parents et tout le village de Saint-Tite.

Les élèves de Mme Bordeleau recréent la Nativité avec Joseph, Marie et les rois mages, et c’est Ovila qui hérite du rôle de Balthazar, celui qui offre la myrrhe en cadeau. Le bon Ovila, qui trébuche lors de son entrée sur scène, a le visage couvert de maquillage noir et de grosses lèvres rouges.

Je le redis : nous sommes dans une école de rang à la fin du XIXe siècle. Il n’y a pas de Noirs dans les campagnes québécoises, encore moins de sensibilisation au racisme et à la discrimination. Aujourd’hui, on ne referait évidemment plus ça. Dans le contexte d’une série comme Les filles de Caleb, cette scène dépeint une réalité moins glorieuse de notre histoire, mais une réalité quand même.

Le « blackface », qui a longtemps ridiculisé les personnes noires en exagérant leurs traits, a bel et bien existé à Montréal et au Québec dans des spectacles de ménestrels. Il y a eu une première vague à la fin des années 1800 — la période des Filles de Caleb — et une deuxième vague à partir des années 1920. Le compositeur de l’Ô Canada, Calixa Lavallée, a même fait partie d’une troupe américaine de « blackface » qui a visité Montréal et Québec.

Bref, il n’est pas incongru ou anachronique de voir un « blackface » dans Les filles de Caleb.

Par ailleurs, les deux personnages masculins qui rient d’Ovila qui « se beurre le visage avec du charbon de bois pour faire le nègre », dixit Ovide Provonost (Patrick Goyette), paraissent très mal dans l’épisode. Et ils se font remettre à leur place.

La censure des Filles de Caleb passe très mal au Québec, à juste raison. L’auteure du roman, Arlette Cousture, de même que les acteurs Roy Dupuis, Pierre Curzi et Marina Orsini ont vivement dénoncé le manque de jugement de Netflix. Ils ont entièrement raison.

Netflix, qui offre Les filles de Caleb uniquement à ses abonnés canadiens, a creusé un trou dans l’histoire d’Arlette Cousture et a modifié le contenu de son récit sans fournir d’explication. Personne chez Netflix Canada n’a voulu commenter le retrait de l’épisode litigieux.

Il y a un curé dans Les filles de Caleb, le curé Grenier (Reynald Bouchard), et ce curé de 1896 est pas mal plus progressiste que le Netflix de 2022, qui joue inutilement au gardien de la morale avec ses ouailles. Qui a besoin d’un autre prêtre pour départager le bon du (grand) mal ?