Benoît Proulx a été un client fidèle du SuperClub Vidéotron de Neufchâtel où j’ai travaillé au milieu des années 1990. Il errait pendant des heures entre les rangées, pitonnait sur le Vidéoway et regardait les films projetés sur les écrans.

Il habitait dans le coin et venait toujours seul. Nous, les employés derrière le comptoir, le reconnaissions immédiatement avec sa barbe et ses lunettes. C’était le journaliste Benoît Proulx, le gars bizarre lié à l’affaire France Alain. À Québec, tout le monde savait qui était Benoît Proulx. Son visage tapissait les journaux et son nom résonnait sur les ondes depuis plus de 10 ans.

Deux détectives avaient rencontré une de mes collègues qui s’inquiétait de croiser systématiquement Benoît Proulx à chacun de ses quarts de travail au SuperClub Vidéotron. La paranoïa régnait vraiment dans la Vieille Capitale.

Même après son acquittement par la Cour d’appel en 1992, Benoît Proulx restait associé au meurtre de son ex-copine de 21 ans, abattue en pleine rue, à Sainte-Foy, le soir du 25 octobre 1982. Ce crime gratuit a marqué l’imaginaire du 418, à une semaine de l’Halloween : mais qui a bien pu tuer cette brillante étudiante en génie électrique sans ennemi connu ?

L’assassin de France Alain n’a jamais été épinglé, mais André Arthur, le roi des ondes de Québec, a longtemps redirigé les soupçons — et la grogne populaire — vers son collègue taciturne de la station CHRC, le lecteur de nouvelles Benoît Proulx. Imaginez ce climat de suspicion publique, déjà très toxique à l’époque.

La plus grosse vedette de la radio en ville accusait (à mots à peine voilés) son voisin de micro d’avoir liquidé une jeune femme — qui était aussi son ancienne amoureuse — avec un fusil de chasse de calibre 12.

Et plus l’investigation de la police de Sainte-Foy piétinait, plus le justicier André Arthur, un des propriétaires de CHRC, alimentait le feu. Nourri par l’ancien enquêteur vedette John Tardif, lui-même un flic aux méthodes douteuses, André Arthur n’a jamais lâché son os. Selon l’animateur intimidateur, le responsable de ce crime horrible s’appelait Benoît Proulx, aucun doute possible. La pression grimpait, l’assassin rôdait et la police locale fonctionnait comme au temps du far west.

Vous verrez, entendrez et comprendrez l’implication cruciale du polémiste André Arthur dans cette saga judiciaire au deuxième épisode de Présumé innocent : L’affaire France Alain, une captivante docusérie en quatre chapitres qui débarque sur Crave mercredi. À la télé traditionnelle, Canal D relaiera les quatre épisodes à partir du 25 novembre. Sébastien Trudel et Marie-Claude Savard y dépoussièrent de vieux dossiers dans le même esprit journalistique que leur première série sur Michelle Perron, la femme du réalisateur Gilles Perron, poignardée à mort dans sa voiture en décembre 1987.

L’affaire France Alain est touffue, complexe et encore mystérieuse à ce jour. Le médium Alex Tanous a même été convoqué à l’angle des rues Belmont et Chapdelaine, où l’étudiante de l’Université Laval a reçu la décharge fatale.

Le soir de l’homicide, Benoît Proulx lisait les nouvelles à CHRC. Les stations sœurs CHOI (FM) et CHRC (AM) occupaient alors le même édifice de la rue Myrand, à un coin de rue de l’appartement de France Alain. Benoît Proulx, qui vivait encore chez ses parents, avait rompu avec France Alain trois semaines avant le drame. Une rupture amicale, sans heurt.

Le hic ? Benoît Proulx a révélé en ondes des détails que la police n’avait jamais dévoilés. Du genre : l’endroit précis où le corps de France Alain a été trouvé, de même que son âge exact. C’était louche et suffisant pour interroger Benoît Proulx, que l’enquête obsédait.

À l’aide de nombreuses images d’archives, dont plusieurs extraits de la défunte émission Contrechamp d’Anne-Marie Dussault, la docusérie de Crave revisite de façon précise et efficace les évènements qui ont forgé cette histoire choquante, bourrée de rebondissements. Pour votre info, une enquête exhaustive du coroner avait disculpé Benoît Proulx, qui avait aussi réussi le test du polygraphe.

Le retournement le plus étrange demeure l’apparition d’un témoin surprise, huit ans et demi après le meurtre. Cet homme, le fonctionnaire retraité Paul-Henri Paquet, jurait avoir reconnu les yeux de Benoît Proulx sur une photo publiée dans Le Journal de Québec en 1991. Ce regard particulier d’un homme barbu, Paul-Henri Paquet l’avait croisé en octobre 1982 près de la scène de crime, si, si.

« Il y a eu toutes sortes de rumeurs à propos de France Alain et nous avons essayé de clarifier tout ça », m’a expliqué en entrevue le copilote de ce « true crime », Sébastien Trudel.

Les recherches de Sébastien Trudel et Marie-Claude Savard pointent vers un coupable qui a longtemps été dans le viseur des policiers : le garagiste lié aux motards Richard Jobin. La sœur de Richard Jobin, Francine Jobin, travaillait aux ventes publicitaires de CHRC et a formé un couple avec Benoît Proulx.

Avant d’être assassiné par le délateur Serge Quesnel en 1993, Richard Jobin aurait confessé le meurtre de France Alain. Voulait-il venger sa sœur pour une affaire de cœur ? Mystère. Francine Jobin et Benoît Proulx ont refusé de participer à la docusérie de Crave, tout comme le Service de police de la Ville de Québec.

Même privé de micro, André Arthur a continué de tarauder Benoît Proulx sur Twitter en gazouillant qu’il avait été libéré en appel « sur une question technique », ce qui était faux. André Arthur avait lui aussi décliné l’offre d’apparaître dans le documentaire sur France Alain. Il est mort le 8 mai dernier.