Il y a eu récemment à Toronto un grand forum sur l’avenir et le caractère du contenu qui apparaît sur nos écrans, grands ou petits. L’évènement s’appelait Content Canada et réunissait un nombre impressionnant de grosses pointures du monde de la télévision et du cinéma.

Plusieurs grands leaders de l’industrie audiovisuelle étaient présents : Catherine Tait, présidente de CBC/Radio-Canada, Valerie Creighton, présidente et chef de la direction du Fonds des médias du Canada (FMC), des patrons de Corus, Bell Média, Rogers, des producteurs privés et, bien sûr, d’importants acteurs du milieu provenant des États-Unis (Netflix, eOne, Paramount+, Disney+, etc.). Car, évidemment, il a été question de partenariats.

J’ai eu beau scruter attentivement la liste des panélistes (ils étaient environ 85) qui ont alimenté les tables rondes et celle des dizaines de participants venus en observateurs, c’est sur les doigts d’une main que j’ai compté les très rares Québécois présents à cet évènement qui a eu lieu à l’hôtel Drake, les 13 et 14 septembre.

La directrice de l’évènement, Ferne Cohen, m’a expliqué que les organisateurs ont fait « tout leur possible » pour joindre des leaders québécois du monde de la télé et du cinéma, mais sans succès. Ouain…

Tout ce beau monde était réuni pour discuter d’enjeux majeurs concernant cette industrie, notamment la redéfinition du contenu canadien dans le contexte du projet de loi C-11 qui devrait amener les géants du numérique à verser des contributions afin de protéger le paysage audiovisuel canadien.

Plusieurs bonnes questions ont été débattues au cours de ce forum. Qu’est-ce qui définit le contenu canadien d’une série ou d’un film ? Comment créer des partenariats avec les voisins du Sud tout en protégeant la propriété intellectuelle ? Quel rôle doit jouer un diffuseur public dans la création du contenu canadien ?

Il a aussi été question du fameux système de pointage qui détermine si une production est canadienne ou ne l’est pas. Par exemple, si le réalisateur ou le scénariste est canadien, tu as deux points. Si le premier ou le second rôle est canadien, tu obtiens un point. Un décorateur ou un compositeur d’origine canadienne te procure également un point.

Pour obtenir une certification, au moins 75 % des dépenses liées à l’émission ou au moins 75 % des dépenses de postproduction doivent être payées pour des services fournis par des Canadiens ou des entreprises canadiennes.

Vous vous demandez peut-être ce que font les producteurs au Canada ? Ils font ça.

Toutes ces questions cruciales touchent l’ensemble des maillons de notre industrie, y compris ceux qui se trouvent au Québec. Pourtant, nous n’avons pas été invités au party.

En fouillant bien dans les listes, je suis quand même tombé sur le nom de Richard Jean-Baptiste, un producteur montréalais indépendant qui a pris part au panel dirigé par Valerie Creighton, patronne du FMC. Lui aussi a été étonné de voir qu’il était l’un des rares Québécois invités à Content Canada.

Au cours de ce panel, il a beaucoup été question d’inclusion et de diversité. Richard Jean-Baptiste en a profité pour déclarer ceci : « Ce que j’observe, au Québec, c’est qu’un seul groupe de gens semble être représenté, donc nous passons à côté de bien des choses. »

Cela a dû faire saliver les anglophones qui aiment nourrir l’image d’un Québec replié sur lui-même. J’ai joint Richard Jean-Baptiste vendredi, il a nuancé ses propos. Selon lui, la diversité sur les écrans québécois s’est enrichie au cours des dernières années. Mais il constate toutefois que la présence des Québécois blancs est encore très forte chez les décideurs. « Ce sont eux qui prennent les décisions de contenu », m’a-t-il dit.

Là-dessus, il a raison. Mais pourquoi était-il le seul et unique Québécois à pouvoir débattre de cette question ? Il est tout de même renversant de voir qu’on organise un grand évènement où sont claironnés les mots « inclusion » et « diversité » et qu’on exclut le Québec de cet important débat. Les organisateurs et les leaders invités ont-ils eu peur des directions qu’auraient pu emprunter certaines discussions ?

Craignent-ils de devoir aborder des thèmes difficiles comme les différences dans les budgets alloués aux productions du Québec et celles du Canada anglais ? Richard Jean-Baptiste m’a parlé de l’aberration qui suscite l’ire des créateurs du Québec. Ceux-ci doivent composer avec une somme d’environ 600 000 $ pour concevoir une heure de télévision (qui fracasse bien souvent des records d’audience), alors que les créateurs du Canada anglais jonglent, pour la même heure, avec un budget de 1 million de dollars et parfois même plus.

Les Canadiens ont discuté entre eux de leurs préoccupations face aux géants américains. Et ils l’ont fait sans nous. Et après ça, quand on ose parler de notre réalité de francophones minoritaires, on se fait dire que nous avons le doigt dans le nombril et que nous n’avons pas le même « dialogue » avec le multiculturalisme que le reste du Canada.

Le fossé culturel entre le Québec et le Canada anglais s’est considérablement élargi ces derniers temps. On y retrouve de l’ignorance et de la mauvaise foi. Et aussi un formidable prétexte pour taper une fois de plus sur notre tête.

On l’a souvent dit, mais je crois que cet évènement souligne une évidence : le cinéma et la télévision du Canada anglais ont toujours été à la recherche d’une identité. Voilà que sous la menace des géants du numérique, cette industrie tente une fois de plus de se distinguer et cherche une manière de se raconter.

Il faudrait d’abord savoir que ce n’est pas juste avec un système de pointage qu’on définit l’identité d’une création. C’est avec son essence. Et l’instinct de survie de ces créateurs.

Mais visiblement, on n’a pas tellement envie d’aborder ce sujet à Toronto.

Consultez le site de Content Canada (en anglais)