Vous avez sûrement des amis qui se vantent encore d’avoir vu Nirvana aux Foufounes électriques en 1991 et qui, eux, buvaient des vins naturels avant que Marc Séguin ne dessine les chic étiquettes des bouteilles de Pinard & Filles, franchement.

Oui, je parle de ces gens-là, souvent snobs et hautains, qui possèdent ce don universel de nous faire sentir complètement dépassés et nuls.

Ces gens-là regardent assurément The Bear sur Disney+, la série la plus cool – et la moins connue – des derniers mois. Non, attendez. Ces gens-là ca-po-tent sur The Bear. Et ces gens-là ne comprennent pas que l’on puisse regarder autre chose que The Bear en ce moment, voyons donc.

Les critiques sont très d’accord avec ces gens-là. Ils raffolent de The Bear. Même le milieu de la restauration, dépeint de façon dure et chaotique dans cette télésérie américaine, encense The Bear.

Confession, ici : j’ai copieusement haï le premier épisode de The Bear, de même que le deuxième, qui nous immergent dans la cuisine crottée d’un restaurant brouillon de Chicago. Ce n’est pas regardable.

Ça hurle, ça sacre, ça s’envoie chier, ça se coupe constamment la parole, c’est anxiogène, c’est cru, la caméra nerveuse s’agite comme à MusiquePlus en 2002, la musique omniprésente nous agresse sans arrêt, c’est tellement stressant que ça nécessite l’absorption de deux Ativan (stat !) pour éviter que le cœur nous sorte de la poitrine. Bref, aucun plaisir à visionner ça.

Pensez au film Whiplash, mais transposé dans un boui-boui familial qui fonctionne tout croche et où les périodes de gros achalandage se transforment en un ballet huileux et toxique, qui culmine toujours avec des blessures ou des accidents.

C’est ça, The Bear : une incursion hyperréaliste dans les coulisses d’un restaurant peuplé d’employés aux caractères de merde. J’ai persévéré et rendu au huitième et dernier épisode, je faisais partie de ces gens qui chantent les louanges de The Bear à tue-tête. Je me suis même surpris à googler des recettes de brageole et de spaghetti pomodoro, possédé par l’esprit automnal de Josée di Stasio. Divulgâcheur : je ne vais jamais cuisiner tout ça, qu’on se comprenne bien.

Et pourquoi cette série cacophonique et frénétique de huit demi-heures nous captive autant ? Parce qu’elle nous fait ressentir des choses. L’urgence, la tension, les conflits, le désespoir, la colère, la violence et le deuil.

Dans nos salons, on sent quasiment la sueur des personnages mal engueulés, la boucane des cigarettes fumées dans la ruelle et le gras de viande qui s’accroche aux vêtements. On est là, avec eux, pendant les coups de feu.

The Bear tourne autour du taciturne Carmen « Carmy » Berzatto (Jeremy Allen White), un jeune chef de Chicago formé aux plus grandes tables du monde. Quand son frère aîné toxicomane se suicide, Carmy hérite de son « greasy spoon », qui sert des sandwiches au bœuf italien à une clientèle de chauffeurs d’autobus et de cols bleus.

Écœuré des endroits bardés d’étoiles Michelin, le ténébreux Carmy s’attelle à rehausser la barre gastronomique et embauche une talentueuse sous-cheffe pour implanter une méthode de brigade française. Évidemment, les vieux employés du casse-croûte se révoltent et la chicane prend aux poêlons, alimentée par la rage du cousin Richie, un vrai trou de cul qui gueule tout le temps.

PHOTO FOURNIE PAR FX NETWORKS

Ebon Moss-Bachrach et Ayo Edebiri dans The Bear

The Bear se déchire entre tradition, embourgeoisement et modernité : faut-il séduire les bobos du quartier avec du risotto parfumé ou se concentrer sur les fidèles qui fréquentent l’endroit depuis des lunes ? Le septième épisode est une plongée interminable de 17 minutes dans l’enfer des cuisines, attachez vos tabliers, la chaleur demeure à broil longtemps.

Mais le cœur de la série bat sous le t-shirt blanc de Carmy, un antihéros complexe et carencé. Pourquoi Carmy se démène-t-il autant pour sauver ce resto – très ordinaire – de la banqueroute ? Il pourrait le fermer, le raser ou simplement le vendre. Rapidement, on comprend que c’est lui-même que Carmy essaie de rescaper dans cette aventure psychologico-culinaire.

En gardant le casse-croûte ouvert, c’est le souvenir de son frère mort, et celui de sa famille jadis unie, qu’il conserve. Lancez ici une chanson de Radiohead, Wilco ou Sufjan Stevens.

Le copropriétaire du restaurant Pastaga, Martin Juneau, a englouti les huit épisodes de The Bear, même s’il a avalé les deux premiers de travers. « C’était trop agressant, j’ai vraiment eu de la misère. C’était tellement le bordel. Mais tu finis par embarquer, parce que la série suit, en quelque sorte, l’organisation de la cuisine. Plus tu avances dans les épisodes, plus les esprits se calment et les choses se placent. Même la cuisine paraît plus propre à la fin », détaille-t-il.

Selon Martin Juneau, The Bear dépeint avec acuité les soirées les plus catastrophiques dans un resto. « La cuisine, c’est un bordel contrôlé, et c’est toujours un peu le chaos », glisse-t-il.

Pour l’instant, la bande sonore française ne vient pas avec The Bear, seuls les sous-titres fonctionnent sur Disney+. Et à quoi fait référence le fameux ours du titre de la série ? Il s’agit du surnom de Carmy, mais aussi d’un punch qui sort lors de l’épisode final. Un deuxième service de The Bear a été commandé pour l’an prochain. Ça s’annonce à la fois succulent et angoissant. Préparez les Tums et le Xanax.