Qu’est-ce qu’on peut bien dire de nouveau sur Elvis Presley et Marilyn Monroe ? Il me semble qu’on n’en finit plus de tirer le jus de ces deux icônes de la culture populaire depuis les célèbres toiles de Helnwein et Warhol. Comme si on n’en était jamais revenus que des stars de cette envergure aient pu disparaître aussi tragiquement – elle à 36 ans, lui à 42 ans. Leurs morts précoces font d’ailleurs partie de leurs légendes, et ont inspiré bon nombre de créateurs.

Est-ce un hasard si deux films sur eux sont sortis coup sur coup cette année, comme si chaque époque avait besoin de revisiter les mythes, sinon de refaire l’autopsie des cadavres ? D’utiliser ces figures archiconnues pour s’y refléter comme dans un miroir ?

Je dois admettre que si la proposition du réalisateur Baz Luhrmann m’a séduite cet été avec Elvis, j’ai été rebutée par celle d’Andrew Dominik, qui fait avec Blonde une adaptation libre et cauchemardesque du roman de Joyce Carol Oates – le film atterrit aujourd’hui sur Netflix.

À ma grande surprise, Luhrmann m’a un peu réconciliée avec le Elvis des derniers jours, celui du clinquant de Las Vegas et des costumes avec cape. Pour les gens de ma génération, surtout ceux qui ont grandi avec Elvis Gratton, le King était aussi le visage de tout ce qui ne va pas avec le vedettariat américain, et une enflure grotesque vers la fin. Mais j’ai retrouvé de l’estime pour l’artiste par mes groupes punk à l’adolescence, qui reconnaissaient l’apport du jeune Elvis et vomissaient celui de Las Vegas, l’accusant presque d’avoir tué le rock’n’roll.

Luhrmann utilise un angle semblable à celui qu’on a aimé dans Amadeus de Milos Forman, où Mozart était vu par le compositeur Salieri ; ici, Elvis (charismatique Austin Butler) est constamment vu par le colonel Parker (Tom Hanks), qui fait tout pour l’enfermer dans une cage dorée et une machine promotionnelle implacable.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB IMDB

Austin Butler dans le film Elvis

Baz Luhrmann, un féru de musique qui peut faire aimer les comédies musicales à ceux qui les fuient (notamment avec Moulin Rouge et la série The Get Down), flirte parfois avec le quétaine, c’est sa marque, car il croit encore en une innocence et en une certaine beauté, mais il réussit souvent à nous toucher droit au cœur.

Son Elvis nous rappelle ce que le chanteur souhaitait vraiment faire musicalement, et on sent de l’affection pour son sujet.

Avec Blonde, on est complètement ailleurs. Ce film est une douleur du début à la fin, à la limite du supportable. Marilyn Monroe n’a-t-elle été QUE ça, une victime ? C’est l’impression que nous laisse Blonde, qu’on rangerait plus du côté du cinéma d’horreur que de la biographie. Bien sûr, Andrew Dominik a réalisé une fiction à partir d’une autre œuvre de fiction, très éloignée du réel. On est beaucoup plus dans une expérimentation morbide à propos du rôle de l’image dans la vie de Norma Jeane Mortenson, qui deviendra Marilyn Monroe, que dans un « biopic » traditionnel (la plupart du temps raté, parce que dithyrambique).

Le réalisateur exploite sans vergogne les éléments les plus sombres de la vie de son personnage, qu’ils soient vrais ou fictifs, allant même jusqu’à recréer dans les moindres détails les photographies célèbres de la star, dont celles prises dans sa chambre, quand elle était morte dans son lit. La mère folle, le père absent, le viol par un producteur, les coups de Joe DiMaggio quand ils étaient mariés, une fellation imposée par le président Kennedy (en gros plan), une discussion avec son fœtus, des scènes de vomi (qu’on reçoit sur la gueule), la foule des admirateurs transformés littéralement en monstres, jusqu’à une scène d’avortement où on voit un speculum entrer dans son vagin… de l’intérieur. Est-ce que pour montrer la déchéance d’Elvis on oserait aller à de telles extrémités ? On s’en permet toujours plus quand il s’agit d’une femme, aussi célèbre soit-elle.

Mais Blonde est une expérience extrême, qui nous violente en voulant nous faire ressentir la violence subie par Marilyn Monroe. Depuis sa présentation à la Mostra de Venise, il a été porté aux nues autant que descendu en flammes par les critiques. Je dirais qu’on a raison d’admirer et de détester ce film, visuellement saisissant et atroce en même temps.

Sauf que, si le but était de détruire le personnage qui a lui-même détruit l’actrice, comment ne pas ressentir un immense malaise à se faire voyeur d’autant de douleur et de sévices ?

Pendant presque trois heures, la caméra ne lâche pas le visage d’Ana de Armas (excellente dans son incarnation de Monroe), qui n’est que souffrance. Tout ce que l’on voit est son mal de vivre, à peu près rien d’autre. Ce film-là veut nous faire souffrir aussi, et Ana de Armas se donne corps et âme dans un projet artistique qui manipule sans pitié le corps et l’âme de Marilyn Monroe. Ce qui est une très étrange façon de défendre l’humanité de Norma Jeane Mortenson. J’insiste : Blonde est vraiment un film d’horreur.

Blonde est offert sur Netflix.

Une première version de ce texte attribuait la toile Boulevard of Broken Dreams, avec Elvis et Marilyn Monroe notamment, à Edward Hopper. L'oeuvre est de Gottfried Helnwein. Il s'agit d'une reprise de la toile de Nighthawks de Edward Hopper.