Dans la nouvelle « maison » de Radio-Canada, les espaces de travail sont à aire ouverte. On m’avait dit que tout le monde, sans exception, évoluait dans ces aires communes qu’on retrouve sur chaque étage. J’avoue que j’avais un petit doute. Je me disais que les grands patrons devaient bien bénéficier d’un bureau fermé.

Quelle ne fut pas ma surprise d’apercevoir Michel Bissonnette, vice-président principal de Radio-Canada, assis derrière un bureau parmi des dizaines d’employés. « Même la présidente, Catherine Tait, quand elle est ici, s’installe à un bureau à aire ouverte », m’a-t-il dit.

Je n’avais jamais eu la chance de rencontrer le grand patron du Service français de Radio-Canada depuis son arrivée en poste, en janvier 2017. Avec lui, j’ai souhaité aborder plein de sujets, dont celui de la fameuse crise du « mot en N » dont il a été question il y a quelques jours dans La Presse.

Lisez notre enquête sur les tensions entre Radio-Canada et CBC Lisez notre entrevue avec Michel Bissonnette sur le « mot en N »

Au cours de notre entretien, Michel Bissonnette n’a esquivé aucune question. Jamais il ne m’a freiné ou fermé une porte. Ses réponses étaient accompagnées d’une grande assurance. Rien à voir avec l’homme qui a poussé la porte de l’institution publique il y a cinq ans.

C’est incroyable, ce que j’ai vécu au début. Il y a des soirs, je quittais Radio-Canada et, rendu à la maison, je ne me souvenais pas d’avoir conduit. Au début, il y a tellement de gens à rencontrer… C’est beaucoup d’ouvrage. Radio-Canada est un gros paquebot.

Michel Bissonnette, vice-président principal de Radio-Canada

La plupart de ses prédécesseurs avaient grandi au sein de Radio-Canada. Michel Bissonnette est un outsider qui vient du secteur privé (il était l’un des dirigeants de la maison de production Zone3). Ce contexte a fait augmenter son stress. « J’ai souvent dit à la blague – mais je le pense encore – que Radio-Canada est un organisme qui peut rejeter les corps étrangers. Tu sens que certaines personnes sont contentes de ton arrivée, car elles se disent que les choses vont bouger, mais tu sens aussi que tu es en observation. »

Lorsque Michel Bissonnette est arrivé en poste, le président Hubert Lacroix vivait les derniers mois de son mandat. Il ne pouvait donc rien tenir pour acquis quant à son avenir. « Je ne veux pas être présomptueux, mais je savais quand même que les gestes que je faisais nous amenaient à livrer des résultats. J’ajoute que la chimie s’est faite immédiatement avec l’équipe de direction. »

Michel Bissonnette fait notamment référence à Luce Julien, directrice générale de l’information, Dany Méloul, directrice générale de la télévision, et Caroline Jamet, directrice générale Radio, Audio et Grand Montréal. Quand il évoque ce trio, les superlatifs abondent. « Avec les équipes des ventes, des finances et des ressources humaines, je peux dire que je suis très bien entouré. »

Michel Bissonnette a quitté un univers de création pour prendre la tête d’un « paquebot » où il doit laisser à d’autres le soin d’inventer et d’imaginer, bref d’avoir la partie « plaisir » du travail. Où la griffe du vice-président se trouve-t-elle dans les concepts qui sont offerts au public ?

Je laisse aux gens des programmes les décisions de programmes. Le rôle que je me suis donné est celui de challenger. Quand on me fait part de projets, je pose plein de questions. Je pense qu’une institution publique ne doit pas faire autre chose, mais doit le faire autrement.

Michel Bissonnette, vice-président principal de Radio-Canada

« Une série comme Pour toi Flora est importante, même si je m’attends à ce que les cotes d’écoute soient plus basses que pour d’autres séries. Quand on a fait Les pays d’en haut, ça coûtait plus cher par heure, mais c’est à nous de faire des séries historiques. »

Le défi du déménagement

À la simple évocation de l’opération du transfert de l’ancienne tour au nouvel immeuble, Michel Bissonnette pousse un énorme soupir. Car cette opération monstre est survenue alors que la pandémie prenait son envol. Cette situation a suscité un lot impressionnant de défis.

« Lorsqu’il y a eu le premier mouvement de bascule, on pensait que les gens allaient revenir travailler au bout de deux semaines. Mais ça déboulait sans cesse… Les serveurs de l’information ne fournissaient plus, car tout le monde voulait être informé sur ce qui se passait, les serveurs de Tou.tv et d’OHdio explosaient parce que tout le monde voulait être diverti. Après ça, il a fallu équiper les animateurs à la maison pour qu’ils puissent faire leurs émissions de chez eux. On a dû faire des compromis sur la qualité, car nos invités étaient en Zoom. Cette période a été quelque chose d’énorme. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

L’ancienne tour de Radio-Canada sans son enseigne

La journée où j’ai rencontré Michel Bissonnette fut celle où les photos des anciennes enseignes qu’on a décrochées de la grande tour brune circulaient dans les médias. Il était beaucoup question de nostalgie. Michel Bissonnette a dû composer avec ce sentiment chez certains employés. Cela est venu avec des réticences et des critiques. Plusieurs mois après le grand déménagement, le vice-président de Radio-Canada croit que les choses se placent.

Lors du lancement de la saison de la télévision, on a fait un évènement avec les employés. J’ai senti qu’on prenait véritablement possession de la Maison cette journée-là. J’ai vu une fierté dans les yeux des gens.

Michel Bissonnette, vice-président principal de Radio-Canada

Contrairement à la présidente Catherine Tait qui compose avec un mandat de cinq ans (celui-ci vient à échéance en juillet prochain), l’avenir de Michel Bissonnette est « renouvelable » et est entre les mains des décideurs. Après cinq ans de labeur, il n’a aucunement l’intention que l’aventure s’arrête là pour lui.

« Je me trouve privilégié de faire ce travail. J’ai beaucoup aimé gérer une entreprise de création. Mais en même temps, de pouvoir diriger la plus grosse salle d’information, une radio qui performe, une télévision créative… Vous savez, je côtoie du monde brillant dans une journée. Je me lève le matin et j’ai hâte de venir travailler. »

Michel Bissonnette compare son rôle à celui d’un ministre. « Tant que tu as des idées et que tu veux changer les choses, tu es à ta place. Le jour où tu dis que tu as fait ce que tu avais à faire, c’est peut-être le temps de lever les pattes. Et ce n’est pas mon cas. J’ai beaucoup d’ambition pour plein de projets que je veux faire. Alors, tant qu’on voudra de moi, je resterai là. »