Comment vivons-nous lorsque l’amour de notre vie peut disparaître à tout moment, à cause de la maladie ? Intensément, c’est le moins qu’on puisse dire. Depuis plus d’un an, Marianne Marquis-Gravel sent cette épée de Damoclès au-dessus de son couple, puisque son conjoint, l’écrivain Simon Roy, est atteint d’un cancer du cerveau incurable.

Je vous ai souvent parlé de Simon. La dernière fois, c’était en mai dernier pour la sortie inespérée de Ma fin du monde, son quatrième et ultime roman, écrit dans l’urgence.

Lisez « Les rendez-vous de Simon »

Au tour de Marianne de publier un livre. Dans la lumière de notre ignorance raconte son histoire d’amour fulgurante avec Simon, à l’ombre de ce diagnostic fatal. Il s’agit de son premier titre et, bien sûr, elle ne s’attendait pas à écrire celui-là. « J’ai une relation vraiment paradoxale avec ce livre, explique-t-elle. Pour moi, ça a été thérapeutique de l’écrire, je suis contente qu’il soit publié, mais je ne peux pas dire que je suis contente qu’il existe, en ce sens que j’aurais mieux mieux aimé ne pas avoir à l’écrire. »

Nous sommes dans un café de l’avenue Laurier où Marianne est venue avec Simon. Après quatre publications, il connaît bien la fébrilité qui accompagne la sortie d’un livre, surtout le premier, et il quitte délicatement le café afin de nous laisser seules pour l’entrevue. « C’est ton moment ! », lui lance-t-il, en retournant à la voiture où il fera une sieste pour se reposer.

Je demande à Marianne où ils en sont avec la maladie de Simon. « C’est assez stable, répond-elle. On a de belles journées. Depuis une semaine, sa mémoire à court terme est défaillante. Nous pouvons avoir la même discussion quatre ou cinq fois par jour, comme si nous ne l’avions jamais eue. Ce qui m’inquiète et m’indique que la maladie évolue. »

J’ai toujours la crainte de me lever le matin et qu’il ne sache plus qui je suis. Depuis un an, je suis toujours un peu sur l’adrénaline.

Marianne Marquis-Gravel

Elle raconte dans son récit ces quelques épisodes terribles où l’esprit de Simon a connu des éclipses. Perte du langage, de la mémoire, paranoïa. Et chaque fois, il est revenu. Des moments d’angoisse pure, quand elle a craint de ne pas retrouver l’homme qu’elle connaissait. Elle ne sait jamais quand une crise sera irrémédiable. C’est pourquoi elle a demandé à Simon de lui enregistrer une vidéo où il lui parle, et qu’elle regardera « après ». Ce temps après lui auquel elle ne veut pas trop penser.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Marianne Marquis-Gravel et Simon Roy

Pour l’instant, ils sont dans un perpétuel présent et Simon continue de déjouer les pronostics. Il y a quelques mois, il rêvait de voir le concert de Julien Clerc et d’assister au lancement du livre de Marianne. Il s’est rendu jusqu’à ces rendez-vous. Dans les circonstances, chacun de ces moments compte énormément pour tous les deux. C’est un peu cela que Marianne a voulu capturer par l’écriture, car Dans la lumière de notre ignorance est un livre sur la vie. La mort n’est pas le sujet.

On n’a pas d’avenir ensemble, tu sais, alors le présent est important, fois mille. Notre amour est tangible, j’avais besoin de le saisir, de le cristalliser. Ce n’est pas parce qu’il ne va pas durer longtemps qu’il n’est pas intense.

Marianne Marquis-Gravel

Marianne et Simon, qui ont 20 ans de différence, sont ensemble depuis trois ans et ont passé presque autant de temps avec la maladie que sans elle à l’heure où nous sommes. Certains trouveront que trois ans, c’est peu, et que Marianne est jeune, qu’elle pourra refaire sa vie, mais elle ne se voit pas avec un autre homme. Vous savez, le coup de foudre, quand on sait qu’on est tombé sur la bonne personne ? Je comprends Marianne, car même si cela fait 24 ans que je suis avec mon amoureux, je dirais que tout ce qui fait que notre amour perdure était là dès les premiers jours. D’ailleurs, le temps est le grand thème de ce livre dont le titre peut se lire de deux façons : la lumière de l’ignorance est celle d’avant la maladie, quand ils étaient follement heureux, mais elle est aussi celle d’aujourd’hui, alors qu’ils ne savent pas encore quand la mort arrivera. Cela les place dans une situation anormale, parfois intenable, où Simon est jaloux de l’avenir de Marianne sans lui, et Marianne jalouse de son passé sans elle. Leur seul espace, leur seule fenêtre commune est l’ici et maintenant.

Simon dit souvent que la plus belle année de sa vie est celle qu’il vient de passer, alors qu’il a failli mourir trois ou quatre fois. C’était en fait la meilleure et la pire année de nos vies.

Marianne Marquis-Gravel

J’ai lu Dans la lumière de notre ignorance à petites doses, le soir dans mon lit, émue de découvrir cet amour que Marianne compare à celui de John Lennon et Yoko Ono, en souriant par moments devant tous ces petits détails intimes qui font le couple, en admirant comment il traverse les épreuves. J’ose lui demander, en devinant d’avance la réponse, si elle aurait préféré ne jamais rencontrer Simon et éviter cette souffrance. Rester, en quelque sorte, dans « la lumière de son ignorance » d’avant qu’il soit dans sa vie. « Jamais, dit-elle. Simon me dit souvent que si c’était à refaire, avoir su qu’il m’imposerait ça, il ne m’aurait pas abordée. Moi, à l’inverse, pas une seconde je ne me suis dit que j’aurais aimé mieux ne pas vivre cet amour. Si le destin existe, si c’était prévu qu’il meure comme ça, la vie a mis quelqu’un sur son chemin qui allait l’aimer, pour vivre de belles années. Je sais que Simon ne va jamais mourir, il m’a changée à jamais et ça va rester, cette part de lui en moi. Ce qui ressort de tout ça, et du livre, c’est l’amour. C’est la seule manière de battre la mort. »

Dans la lumière de notre ignorance

Dans la lumière de notre ignorance

Leméac

221 pages