« Oh non, pas des enfants ! »

Yvon Deschamps lance cette phrase d’un ton faussement exaspéré, pour faire rire, bien sûr, alors qu’il prend la pose pour la photo, pendant qu’un groupe de bambins défile dans le centre qui porte désormais son nom.

Avec l’humilité qu’on lui connaît, ce n’est certainement pas lui qui a voulu que le centre de l’Association sportive et communautaire du Centre-Sud (ASCCS), situé rue de la Visitation, s’appelle désormais le Centre Yvon Deschamps, même s’il a consacré 40 ans de sa vie à cet endroit qui vient en aide aux jeunes du quartier depuis 1974. Mais on lui a expliqué que pour les communications, ce serait plus simple, alors il a accepté.

Le visage des gens s’illumine quand ils voient Yvon Deschamps en personne, et il passe souvent par ici. Cette fois, c’est pour faire la promotion du spectacle-bénéfice Yvon Deschamps – Intemporel, qui sera présenté au Casino de Montréal le 19 septembre et dont tous les profits iront au centre. Des humoristes comme Lise Dion, Laurent Paquin, Martin Matte, Stéphane Rousseau ou Maude Landry reprendront les plus célèbres monologues de celui qu’on désigne comme le « père de l’humour au Québec ». Si les billets sont chers (c’est pour la bonne cause), le spectacle est offert en webdiffusion pour la somme de 30 $.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Yvon Deschamps

Il y a des photos d’Yvon Deschamps un peu partout dans ce centre qui est un joyau du quartier, avec sa bibliothèque, son gym, sa piscine et une foule d’activités et de programmes pour les jeunes. Les adultes profitent tout autant de ce lieu, où j’ai pu nager et suivre des cours de yoga à un prix imbattable.

Mais il a fallu du temps avant que ça devienne une place aussi chouette, et cela n’aurait pu se faire sans l’implication d’Yvon Deschamps et de sa fondation.

Ce n’était pas facile au début d’implanter ce centre dans un quartier très dur, où il y avait beaucoup de problèmes sociaux. « Hé, moman que c’était tough ! se souvient-il. On a même dû changer le sens de la rue à cause des demoiselles de la nuit qui étaient sur le coin, parce que les gars faisaient le tour en auto toute la journée ! »

Il éclate de rire, ce rire si communicatif qu’on connaît tous.

Engagement

Mais pourquoi ce dévouement pour Centre-Sud alors qu’il est un petit gars né à Saint-Henri ? C’est le hasard qui a décidé. Quand son horaire le lui permettait, il répondait oui aux demandes. Au fil du temps, Yvon Deschamps a prêté main-forte à Oxfam, au Chaînon, au Défi sportif, au CHUM… Il n’a pas cessé d’être engagé dans sa société. « Je n’ai jamais pensé qu’une cause était meilleure qu’une autre. Toutes les causes sont bonnes. J’en ai fait des dizaines, mais il y en a une couple où je me suis accroché les pieds plus longtemps. »

Il ne tarit pas d’éloges envers Gaëtan Forcillo, cofondateur de l’ASCCS, celui qui l’a sollicité dans les années 1980 pour réaliser le rêve de ce centre. « Moi, j’appelle ça des anges, dit-il. Parce qu’il n’y a rien qui arrive s’il n’y a pas une personne pour qui c’est essentiel que ça se passe, qui ne sera pas heureuse tant que ce ne sera pas fait. C’est comme ça que les choses arrivent. On entend parfois qu’on ne peut pas changer le monde. Peut-être, mais on peut changer le monde autour de soi. »

Il énumère, très fier, toutes les réalisations de l’ASCCS. « On a une dizaine de programmes pour la persévérance scolaire. Avant la pandémie, il y avait plus de 100 jeunes par jour pour l’aide aux devoirs, environ 800 pour le camp de jour. Il y a plein de services ici pour toute la famille et pour les nouveaux arrivants. L’autre jour à la bibliothèque, j’ai vu une madame musulmane avec ses trois enfants, qui ont trouvé ici un endroit chaleureux, sûr, agréable. C’est un chez-soi ailleurs que chez soi, un endroit où on se sent aimé et accepté. C’est fabuleux. »

Yvon Deschamps raconte qu’il a commencé à « quêter » pour des causes en 1970. Il a été profondément marqué par son implication au sein du Chaînon qui aide les femmes en difficulté. « Ça m’a bouleversé, et probablement que c’est là que ça s’est imprimé en moi : il faut que tu aides. Individuellement, on a des responsabilités et on se doit, si on le peut, d’aider. »

À 87 ans, il le peut encore et il n’a pas l’air d’être près d’arrêter.

Le bonheur

Yvon Deschamps interrompt soudainement la conversation.

« Regarde la belle femme qui s’en vient », dit-il en regardant par la fenêtre.

Je me retourne en me disant qu’Yvon Deschamps n’est pourtant pas du genre mononcle, et je vois Judi Richards qui approche en apportant les cafés. Et je ris, évidemment. Il l’accueille ainsi : « You’re the best and you’re beautiful. » Judi dispose sur la table de belles tasses où l’on peut lire « aimons-nous… », et à l’intérieur « … quand même », d’après le titre de la célèbre chanson de l’humoriste.

« C’est le quand même qui est important », souligne Yvon, tandis que Judi ajoute : « Oui, le malgré tout. »

Ces deux-là sont tellement beaux ensemble, et ce, depuis 55 ans. « J’essaie encore de la séduire, ce qui est une job, dit-il. Elle me prend pour son mari par bouts ! »

Le secret de leur amour ? « C’est de s’accepter totalement », répond-il, en précisant que cela n’a pas été un long fleuve tranquille et qu’il leur a fallu 25 ans pour y parvenir, parce qu’à peu près tout les opposait.

Judi et Yvon forment un power couple dont la notoriété est entièrement détournée pour aider les autres. Quand Yvon était mal à l’aise avec l’argent qui entrait à pleine porte au plus fort de son succès, Judi lui disait : « Donne-le si tu ne veux pas le garder. » Je lui fais remarquer que pendant les campagnes électorales, on ne parle jamais de pauvreté. De classe moyenne et de baisses d’impôt, mais pas des pauvres. « Jamais ! », résume-t-il, mais cela ne fait pas de lui un pessimiste. « Je me dis que nous, on s’en est sortis, et que les jeunes vont s’en sortir aussi. Comment ? Je ne sais pas ce qu’ils vont faire, mais on dira ce qu’on voudra, la vie, ça s’améliore. Des fois, on recule, des fois on avance, mais ça s’améliore toujours. Mon grand-père avait la semaine de 72 heures et il n’avait pas droit aux vacances, mon père celle de 54 heures et aujourd’hui, c’est 35 heures. »

De toute façon, il affirme voter « vert » et sa seule critique envers les jeunes est de trouver qu’ils ne sont pas assez apeurés envers l’environnement pour aller voter en ce sens et influencer les partis. « Quand on croit en quelque chose, on vote pour ce en quoi on croit, on ne vote pas stratégique. Je vote vert pis je suis vieux. Je suis un de ceux qui ont le projet de changer les choses pour que le réchauffement climatique ne tue pas mes petits-enfants et qu’ils puissent vivre en paix dans un environnement sain. »

Je regarde autour de nous les murs du Centre Yvon Deschamps. C’est tangible. C’est vrai qu’on peut changer les choses. Quand même et malgré tout.

Yvon Deschamps – Intemporel, au Casino de Montréal le 19 septembre à 19 h 30

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