La grande tour brune de Radio-Canada a été dépouillée de ses enseignes. Exit la molécule rouge que certains appelaient familièrement « la pizza » à l’époque où elle était multicolore ! Exit les lettres de la Société qui ornaient l’entrée principale.

Depuis quelques jours, l’édifice a l’air d’un vieil acteur qui a retiré son maquillage et son faux toupet après un spectacle.

Des photos ont circulé sur les réseaux sociaux au cours des derniers jours. Un ami réalisateur m’en a fait parvenir une : « C’est niaiseux, mais ça me fait un petit pincement au cœur. » On y voyait des morceaux d’un des logos prêts à être embarqués sur une remorque.

PHOTO TIRÉE D’INSTAGRAM

Des morceaux d'un des logos qui ornaient la grande tour brune de Radio-Canada

Pas mélancolique pour cinq cennes, l’animatrice Isabelle Craig a écrit sur Facebook : « Aucune nostalgie. J’ai toujours détesté cet édifice brun, sombre, ressemblant à une vaste caisse populaire qui se serait accouplée avec une boîte de Chiffons J. J’ai aimé les gens, pas le building. »

Elle n’a pas tort. L’ambiance de cet édifice était mortelle. Une fois à l’intérieur, on ne faisait plus la différence entre le jour et la nuit. Les invités avaient rarement l’occasion de monter aux étages. Quand on y allait, c’était pour descendre dans les sous-sols, où c’était encore plus déprimant.

Nous avons appris que les trois enseignes retirées n’ont pas de valeur patrimoniale. En effet, elles ont été installées après l’inauguration de l’édifice, en 1973. Elles font quand même partie du paysage montréalais depuis de nombreuses décennies. Le logo rouge de Radio-Canada que l’on voyait de loin était un repère, tout comme celui de Molson ou de la Farine Five Roses.

Plusieurs personnes se sont demandé pourquoi on n’avait pas installé ces enseignes sur le nouvel édifice. Cela n’était pas possible, m’a-t-on expliqué à Radio-Canada. Elles avaient été conçues pour être fixées aux dalles de béton de la grande tour, alors que le verre est omniprésent dans l’architecture du nouveau bâtiment.

Certains se sont inquiétés de leur sort. Ces objets vont-ils se retrouver dans un dépotoir ? À Radio-Canada, on m’a dit qu’on réfléchissait à la possibilité de reconstituer un des logos. Quant à l’enseigne qui était à l’entrée principale, elle pourrait être offerte à l’organisme Projet d’enseignes de Montréal, dont le mandat est de récupérer et de conserver ces artéfacts appartenant à la culture populaire. Des discussions ont lieu à ce sujet.

Ça fait des mois que l’on parle du déménagement de Radio-Canada. Il me semble que les fins n’en finissent plus. Chaque fois qu’un animateur réalise sa dernière émission, il le dit sur les réseaux sociaux. Mais bon, la vraie de vraie coupure s’en vient. D’ici à la fin de l’année, le transfert définitif vers le nouvel édifice sera achevé.

Critiqué par plusieurs employés au moment de sa construction, le style du nouvel édifice semble maintenant séduire ceux qui y travaillent. J’y étais mardi dernier. Dans l’immense hall, qui a des allures d’aérogare, mais qui a la qualité d’accueillir la lumière à bras ouverts, on s’affairait à monter le décor du prochain débat des chefs.

On a l’impression que les employés, leurs rôles et le lieu forment un tout. Les gens partagent des aires communes (fini les alvéoles qui isolaient les équipes et favorisaient les cancans). Certains studios sont à proximité des bureaux, d’autres donnent sur le hall. Bienvenue au XXIe siècle.

Michel Bissonnette, vice-président de Radio-Canada, m’a confié que lors de l’évènement soulignant la rentrée il y a quelques jours, il avait eu le sentiment que les employés s’appropriaient enfin ces lieux qui chasseront vite, j’en ai bien l’impression, les relents de nostalgie.

Car on a la nostalgie qu’on souhaite bien avoir. Ou celle qu’on s’invente.

Depuis le jour où je suis allé à l’Olympia de Paris, j’ai compris que ce sentiment est un ballon qui peut se dégonfler en deux secondes. J’ai passé le spectacle de Liane Foly à me dire que c’était extraordinaire d’être dans ce lieu hanté par tant de légendes. Je regardais la scène et je frissonnais à l’idée qu’elle avait été foulée par Édith Piaf et Jacques Brel. Un peu plus et j’imaginais le parfum capiteux de La Goulue.

Quelques jours plus tard, un ami parisien m’a brutalement sorti de ma rêverie en me rappelant que l’Olympia avait été reconstruit à l’identique au milieu des années 1990. Bref, le souvenir de Piaf n’est pas plus présent à l’Olympia qu’il ne l’est aux Galeries Lafayette.

La nostalgie est le souvenir d’on ne sait quoi, disait Saint-Exupéry.

Ça fait drôle de parler de nostalgie au sujet d’un édifice qui a effacé un quartier pour lequel certains ont encore de la nostalgie. Je vous parle du Faubourg à m’lasse qu’on a charcuté afin d’y ériger l’ancienne tour. Le promoteur du nouvel édifice de Radio-Canada a eu la délicatesse de commander une œuvre qui souligne ce passé. On peut voir l’œuvre Résonance des lieux, de Ianick Raymond, du côté de la rue Alexandre-DeSève.

Ce secteur où vivaient des ouvriers peu fortunés sera bientôt rempli d’immeubles de condos. La grande tour brune, qui a toujours eu l’air d’un menhir en plein désert, ne sera plus seule.

Allez, grande tour brune, bonne chance pour la suite des choses ! Avec toutes les histoires que vous avez entendues au cours des 50 dernières années, vous devriez facilement égayer vos vieux jours !