Oui, c’est très, très bon Avant le crash, qui raconte avec acuité et modernité la collision professionnelle et personnelle que s’apprêtent à vivre quatre banquiers d’investissement carburant à l’argent, au pouvoir et aux amphétamines. Bonjour les ordonnances d’Adderall.

Et contrairement à Industry de HBO/Crave, une série financière que j’adore malgré son opacité, les personnages d’Avant le crash ne s’expriment pas dans une langue économique incompréhensible de fonds de couverture ou de cryptomachins. Les auteurs Éric Bruneau et Kim Lévesque Lizotte ont épuré les dialogues de tout jargon technique pour se concentrer sur le cœur de leur histoire, soit celle de jeunes professionnels, fin trentaine, début quarantaine, qui se cassent la margoulette dans un milieu féroce et ultra compétitif.

C’est le genre de série léchée qui plaira – entre autres – aux plus jeunes, qui ne se branchent que sur Netflix et qui vénèrent des titres comme Billions ou House of Lies, mais en version plus accessible, je dirais. Les épisodes d’Avant le crash renferment des répliques percutantes qui parlent, avec panache, d’ambition maladive, d’équilibre travail-famille ou de « gars qui se mettent du cutex au bureau ». Gros coup de cœur, ici, pour cette œuvre mordante, sexy et décapante.

Honnêtement, j’aurais probablement dévoré les 10 épisodes s’ils avaient été disponibles. Mais non, Avant le crash jouera à la petite semaine à partir de lundi à 21 h, sur les ondes de Radio-Canada.

Le noyau dur d’Avant le crash se compose de quatre « boys » qui ont fréquenté les HEC ensemble et qui ont occupé de gros emplois à 80 heures par semaine. Marc-André (Éric Bruneau), 37 ans, a été le premier du quatuor à péter au frette, complètement écœuré par cet univers de rapaces. Sans emploi depuis quatre ans, Marc-André enfile les jobines et vit aux crochets de sa copine de 22 ans, Fanny (Juliette Gariépy), une étudiante en socio qui fabrique sa propre vaisselle pour « freiner la croissance infinie ». Vous voyez le genre. Fanny, qui rêve de Burning Man, représente la frange plus woke de la génération Z, disons-le.

Le plus Wall Street du groupe, le plus converti à l’hyperperformance, c’est François (Émile Proulx-Cloutier), un véritable trou de cul qui dit les choses qui ne se disent pas sur la parité et les programmes d’équité. Sa relation avec Évelyne (Karine Vanasse), avec qui il a un enfant de 6 mois, le petit Denis, vous surprendra. Dans ce rôle étonnant et étoffé, vous allez découvrir une Karine Vanasse comme vous ne l’avez jamais vue. Cette énigmatique Évelyne, elle aussi banquière, a plus d’un tour dans son sac, pour ne rien divulgâcher.

PHOTO SERGE GAUVIN, FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Myriam Fournier incarne le personnage de Marie-Michèle dans Avant le crash.

Patrick (Mani Soleymanlou) est probablement le plus équilibré de la bande, jusqu’à preuve du contraire. Patrick encaisse des tonnes d’argent et hésite à renoncer à ces montagnes de fric quand sa conjointe Marie-Michèle (Myriam Fournier) manifeste le désir de reprendre sa carrière de prof, après avoir élevé leurs trois filles.

Finalement, Vincent (Benoît Drouin Germain) se remet d’un épuisement professionnel en occupant un travail de fonctionnaire chez Revenu Québec. Le couple que forment Vincent et Stéphanie (Mylène Mackay), une restauratrice bourgeoise plutôt froide, bat de l’aile. Un homme cassé et casé dans un job routinier, ce n’est plus du tout sexy aux yeux de Stéphanie.

Ce qui est fascinant dans Avant le crash, c’est d’assister à la transformation des personnages sous nos yeux. Les méchants s’adoucissent. Les bons s’assombrissent. Et d’un épisode à l’autre, l’allié devient le bourreau, puis la victime.

Le personnage de patronne campé par Marie-France Marcotte incarne parfaitement cette dualité. Femme sans enfants ayant évolué toute sa vie dans un monde de machos, on pourrait croire, à tort, qu’elle a de l’empathie pour ses jeunes employées qui jonglent avec la maternité et leur boulot.

Aussi, les hommes qui s’autoproclament féministes dans Avant le crash sont souvent les premiers à rechigner quand les bottines devraient – théoriquement – suivre les babines. Tu crois vraiment à l’égalité des sexes ? Parfait. Va chercher la petite à la garderie pendant que je pars à New York signer une mégatransaction.

PHOTO SERGE GAUVIN, FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Éric Bruneau interprète le personnage de Marc-André, un adulescent en quête de repères.

Avant le crash présente également un très beau personnage d’adolescente anxieuse, Florence (Irlande Côté), 13 ans, qui se questionne sur sa cote de popularité très basse à l’école et qui s’avère de bon conseil pour Marc-André (Éric Bruneau), lui-même un adulescent en quête de repères. Joey Scarpellino hérite d’un rôle super comique de gars de la construction qui se gave de pensées positives préfabriquées.

Les protagonistes d’Avant le crash vivent en déséquilibre et se dirigent tous, à pleins gaz, vers un mur. La perspective du profit les pousse à parier sur des trucs invraisemblables ou à investir dans des combines risquées. Les mariages se fragilisent, les ego se cognent, les alliances se reforment.

Certaines répliques sur le « 1 % », les privilèges ou le capitalisme sauvage sonnent parfois comme un discours de Gabriel Nadeau-Dubois, mais on pardonne, justement, parce qu’elles n’occupent pas plus de 1 % du récit.

Et pour ceux que ça chatouille ou titille depuis la lecture du titre de cette chronique, Crash ! Boom ! Bang ! est un album du groupe suédois Roxette ainsi qu’un jeu de Nintendo DS. Deux passions personnelles qui se rencontrent, quoi.