Bien sûr qu’il y a des irritants lors d’un mégafestival musical comme Osheaga. Ne me partez pas sur les maquillages pailletés de style Euphoria de Saint-Jérôme, les attroupements d’énervés qui se forment dans les corridors de circulation (on bouge, calvaire !), les apérol spritz à 15 $ qui goûtent l’eau ou l’omniprésence des vêtements commandités par les boutiques Garage.

Mais au moins, le parc Jean-Drapeau ne croule pas sous des montagnes de déchets de plastique, la sécurité veille sur les festivaliers, et les toilettes chimiques ne se déversent pas dans une mer de boue brune que des mélomanes défoncés prennent pour un bain d’argile purifiant.

Bref, rien à voir avec le fiasco de l’évènement Woodstock de juillet 1999, tel que montré dans la troublante minisérie documentaire de Netflix Trainwreck : Woodstock 99 (Chaos d’anthologie : Woodstock 99), qui se dévore en français, en anglais et en une soirée.

À peine trois épisodes d’une heure, qui racontent chacun une journée dans l’histoire anxiogène de ce gigantesque attroupement orchestré sur une base militaire de la ville de Rome, dans l’État de New York. C’est à la fois captivant et révoltant. C’est meilleur que Woodstock 99 : Peace, Love and Rage, offert sur Crave.

La construction des épisodes de Trainwreck : Woodstock 99 reproduit habilement la tension qui a grimpé sur l’asphalte brûlant d’une ancienne piste d’atterrissage ayant accueilli les Korn, Metallica, Limp Bizkit, Rage Against the Machine, Megadeth et Kid Rock, entre autres. Le vendredi, ça sent non pas le patchouli comme en 1969, mais l’optimisme. Les jeunes plantent leurs tentes, sifflent des bières et déambulent joyeusement comme leurs parents 30 ans auparavant.

Le samedi, ça se gâte, notamment quand le chanteur Fred Durst, de Limp Bizkit, encourage ses 250 000 fans – déjà crinqués au maximum – à faire du grabuge sur les notes de la pièce Break Stuff. L’humeur collective s’assombrit. Et le dimanche, ça vire carrément au chaos et à la destruction. Émeutes, viols, vandalisme, feux gigantesques, l’immense terrain de Woodstock se métamorphose en zone de guerre.

Encore aujourd’hui, les organisateurs de Woodstock 99 se renvoient la balle quand il s'agit de désigner les responsables de la catastrophe. Une poignée de trouble-fêtes a empoisonné l’ambiance ! Il ne s’agissait que d’incidents isolés, franchement ! Les groupes de musique agressive ont eux-mêmes provoqué les débordements !

Cet excellent documentaire de Netflix insiste avec raison sur la cupidité du comité organisateur de Woodstock 99, qui a siphonné l’argent des jeunes pour ensuite les abandonner sur un terrain vacant. En rognant sur le ramassage des ordures, en embauchant des agents de sécurité incompétents, en montant les prix de la nourriture à des niveaux débiles et en négligeant de fournir des services sanitaires de base, les têtes dirigeantes du festival ont craqué la première allumette devant un immense baril de poudre rempli jusqu’au couvercle.

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

On voit un certain nombre de festivaliers de Woodstock 99 recouverts de ce qui ressemble à de la boue...

À ces éléments irritants, il faut ajouter la chaleur suffocante, la consommation de drogues, l’épuisement, l’eau potable contaminée et l’absence de sécurité adéquate pour que tout explose avec violence. Le troisième épisode se regarde à la manière d’un film d’horreur.

Les images d’archives de la minisérie de Netflix montrent abondamment un groupe problématique et majoritaire dans la foule de Woodstock 99 : des jeunes hommes blancs en colère. Vous savez, ceux qui se baladent en bedaine, en shorts cargo et qui hurlent aux femmes : montre-moi tes boules, tabarnak ! Eux autres, là. Sûrement membres d’une fraternité quelconque, ces « bros » au cerveau atrophié ont profité de l’esprit de bacchanale pour agresser des femmes et tout démolir. Belle bande de champions.

À la caméra, on voit ces jeunes spécimens onduler, détruire, sauter, vociférer et cracher leur colère. Ils contaminent leurs camarades avec leur énergie toxique, qui se répand au son de Nookie, de Limp Bizkit, ou de Freak on a Leash, de Korn.

On s’entend : l’affiche « testostéronée » et « nu métal » n’a pas contribué à insuffler amour et paix à Woodstock 99. Quand Jewel et Sheryl Crow ont foulé la scène avec leur pop-rock plus doux, elles ont été copieusement huées et insultées. Bouh, dégagez, les « madames », on veut voir vos seins !

Et pire idée du monde : les organisateurs ont distribué 100 000 chandelles pendant la prestation des Red Hot Chili Peppers, les derniers à chanter à Woodstock 99. Évidemment, les chandelles ont servi à allumer des brasiers, allô. Au lieu de calmer la foule, Anthony Kiedis, des Red Hot Chili Peppers, a enchaîné avec la reprise Fire, de Jimi Hendrix. Les spectateurs y ont décelé un signe d’encouragement à la casse, tandis que Kiedis jure avoir voulu honorer la sœur de Jimi Hendrix en rejouant ce classique.

Trainwreck : Woodstock 99 ne se regarde pas en rigolant comme les documentaires qui ont été fabriqués sur Fyre Festival. Il y a un aspect glauque et sordide dans Woodstock 99 qui donne la nausée. Perchée sur son manche de guitare, la petite colombe de 1969, qui en a pourtant vu d’autres à son époque, a dû fermer les yeux très fort devant ce triste spectacle de débauche.