Maripier Morin et Julien Lacroix n’ont guère le choix. Pour retourner dans la sphère publique, ils doivent passer par une thérapie tout aussi publique. Dans leur cas, un mea culpa bien senti ne suffit pas. Il leur faut dévoiler leur cheminement intérieur et le soumettre au fameux tribunal populaire.

Le retour dans l’arène de ces deux personnalités fortement éclaboussées et mises au rancart dans la foulée du mouvement #metoo est en ce moment sur toutes les lèvres. L’actrice-animatrice et l’humoriste, tous deux issus de la même génération, étaient les chouchous du public québécois. Aujourd’hui, ils semblent avoir autant de détracteurs que d’admirateurs.

Réussiront-ils à retrouver la place qu’ils occupaient avant que leur carrière prenne une débarque ? L’histoire le dira.

À la suite d’allégations de harcèlement sexuel, d’agression physique et la tenue de propos racistes, Maripier Morin a mis sa carrière en veilleuse en juillet 2020. La jeune femme a aussitôt entrepris une thérapie dans le but de mettre fin, notamment, à sa dépendance à l’alcool et à la cocaïne.

La voici maintenant en tête d’affiche du film Arlette, dont la sortie est prévue le 5 août prochain.

En ce qui a trait à l’humoriste Julien Lacroix, qui a été visé par des allégations d’inconduites sexuelles, il a aussi entrepris un « processus thérapeutique intensif ».

Le voilà maintenant prêt à revenir sur scène pour faire rire son public.

Ceux qui se demandent depuis des mois combien de temps le purgatoire de ces vedettes cloîtrées doit durer avant qu’elles envisagent un retour sur scène ou à l’écran ont leur réponse : 24 mois ! Du moins pour ces deux-là.

Au cours de ma carrière, j’en ai vu passer, des scandales. Du vol (manteau, gants, bague, bouteille de vin) à la conduite en état d’ébriété, en passant par la fraude fiscale, le recel et la vente de stupéfiants, « nos vedettes » ont souvent dérapé. Vous n’avez qu’à relire les « journaux jaunes » des dernières décennies sur le site de la BAnQ pour vous en rendre compte.

Ce qui a changé aujourd’hui, outre la nature de la faute et la façon dont elle est mise au grand jour (rappelons que Maripier Morin et Julien Lacroix n’ont officiellement été accusés de rien devant les tribunaux), c’est la façon dont on s’y prend pour blanchir son image afin de reconquérir le cœur du public, cette autre dépendance dont personne ne parle.

À quelques semaines de la sortie d’Arlette, Maripier Morin a opté pour la méthode de la longue « entrevue vérité » avec nulle autre que la première dame du Canada, Sophie Grégoire. Cette dernière présente depuis quelque temps des capsules traitant des enjeux de santé mentale. L’entrevue, publiée sur les plateformes numériques du magazine Elle Québec, offre à Maripier Morin le loisir de parler de son cheminement des deux dernières années et de son expérience de la maternité.

Cette entrevue suit sa participation à la série balado Grains d’espoir, en compagnie d’Angelo Rubino et de Jean-Claude Télémaque, où elle aborde avec beaucoup de cran les problèmes liés à la dépendance. Bref, son retour se fait en douceur, mais en prenant le vent de face.

De son côté, Julien Lacroix a annoncé au cours de la semaine qu’il allait enregistrer une émission balado le 12 juillet devant un public de 25 personnes (des supplémentaires ont été ajoutées). Le but est de souligner les deux années de sobriété qu’il vient de vivre. Soulignons que les profits de la vente des billets de cet évènement vont servir à la prévention de l’alcoolisme et de la toxicomanie chez les jeunes.

Ces têtes d’affiche ont été jugées par le public et c’est en affrontant ce même public qu’elles vont tenter de faire un retour. Biberonnées aux médias de toutes sortes, c’est par eux qu’elles vont essayer de reconquérir leur place.

J’avoue que je suis complètement déchiré par ces opérations. Je me demande si je suis témoin d’une stratégie de réhabilitation superbement moulée sur son époque ou plutôt d’une leçon de courage et de détermination. Car cela en demande pour se sortir d’une dépendance, peu importe sa nature.

Pour le moment, je m’accroche à l’effet que peut avoir la démarche de ces deux idoles et les tabous qu’elle est en train de faire tomber. Entreprendre une thérapie est, de nos jours, quelque chose que l’on garde souvent pour soi. Non seulement les personnes qui souffrent le vivent en cachette, mais quand elles osent escalader la montagne, elles le font en secret.

Pour une fois, l’affligeante impudeur qui frappe nos sociétés servira à quelque chose de constructif.

Cet acte de contrition va-t-il trop loin ? Quand on regarde Éric Lapointe, qui a plaidé coupable à une accusation de voies de fait à l’endroit d’une femme en octobre 2020 et qui offre des spectacles dans plusieurs villes du Québec pour le plus grand plaisir de ses admirateurs, on est en droit de se poser la question.

Il est difficile de prévoir les effets qu’auront sur le public les témoignages de Julien Lacroix et de Maripier Morin. Cela dépendra de plusieurs facteurs. Le ton et le choix des mots employés seront cruciaux. Pour le reste, il faudra s’en remettre à l’humeur du moment. Une dénonciation de plus face à une autre personnalité ou un jugement controversé pourrait tout faire basculer.

On peut aussi se demander comment réagiront les personnes qui ont dénoncé les comportements de Maripier Morin et de Julien Lacroix. Trouveront-elles que ces deux-là s’en sortent trop facilement ? Voudront-elles intervenir davantage dans l’espace public comme certaines ont commencé à le faire ?

Ce climat teintera sans doute la promotion entourant le film Arlette. Je suis curieux de voir la place que prendront la chute et la remontée de Maripier Morin lors des entrevues. Les questions qui lui seront alors soumises ne bénéficieront pas du cadre protecteur dont a joui jusqu’ici l’actrice. Il sera intéressant de voir le mécanisme que mettra en place l’équipe chargée des relations de presse.

Depuis l’éclatement du mouvement #metoo, on a beaucoup parlé du rôle des dénonciations publiques et de celui des véritables tribunaux. Le succès ou l’échec de ces retours devrait nous aider à aller plus loin dans cette réflexion.

Interviewée par mon collègue Simon Chabot en 2020, Rachel Chagnon, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM, avait fait cette observation très juste.

« Le système de justice traditionnel récompense ceux qui admettent leurs torts en réduisant souvent leur peine et punit plus sévèrement les coupables qui nient jusqu’au bout. Sur les réseaux sociaux, ceux qui reconnaissent leurs fautes peuvent le payer très cher et ceux qui nient s’en sortent souvent indemnes. »

Julien Lacroix et Maripier Morin montrent leurs cartes et jouent le tout pour le tout. Ils ne connaissent pas l’issue de ce risque.

Mais un tribunal invisible, auquel nous nous en remettons de plus en plus, tranchera.

Lisez « L’imprévisible tribunal populaire des réseaux sociaux »