Après 23 ans « de loyaux services et de gros plaisir », Laurent Saulnier, vice-président, programmation, évènements culturels et festivals, de Spectra, quittera son poste à la programmation des Francos et du Festival international de jazz de Montréal le 15 septembre. L’ancien journaliste demeurera l’imprésario de Pierre Lapointe. Entretien avec un éclaireur.

Marc Cassivi : Je ne savais pas que tu t’occupais de la carrière de Pierre Lapointe. Est-ce une troisième carrière qui s’amorce pour toi ? Après journaliste et programmateur, agent d’artiste ?

Laurent Saulnier : Si tu mets le mot « artiste » au singulier, oui.

M. C. : Comme René Angélil !

L. S. : (Rires) Pas sûr qu’il serait d’accord !

M. C. : Est-ce relativement récent que tu t’occupes de Pierre, ou c’est moi qui n’ai pas vu passer la nouvelle ?

L. S. : On n’a pas fait de grande annonce. Quand l’ancien agent de Pierre a décidé il y a quelques années de prendre sa retraite, j’ai soumis ma candidature.

M. C. : Ton départ de Spectra, est-ce que c’est une façon de réduire tes activités pour te concentrer exclusivement sur la carrière de Pierre ? Ou il y a d’autres occasions qui se présentent à toi ?

L. S. : Ni l’un ni l’autre. Je sentais que le moment était venu, pour plusieurs raisons. La première, c’est que je laisse derrière une super équipe. Puis j’aime mieux me retirer maintenant qu’attendre qu’il soit trop tard.

M. C. : C’est-à-dire ?

L. S. : Il n’y a rien de pire que quelqu’un qui étire son séjour pour rien et qui est là pour être la mascotte des festivals. Ça ne me tente pas. J’ai eu la chance — c’est même plus que de la chance, c’est un vrai privilège – d’avoir toujours eu du plaisir dans ce que je faisais. J’ai juste l’intention de continuer.

M. C. : J’ai un peu l’impression que c’est le dernier des Mohicans qui s’en va…

L. S. : (Rires) Oui, il y a un peu de ça. Il ne faut pas jouer à l’autruche non plus. Quand j’ai commencé aux festivals, j’avais 37 ans. Je suis d’accord avec toi : il y a un chapitre du livre qui est en train de se terminer. Mais ça ne veut pas dire que le prochain chapitre va être moins intéressant. Je pense au contraire que plus l’aventure progresse, plus il y a des défis, plus ça peut être excitant.

PHOTO RÉMI LEMÉE, ARCHIVES LA PRESSE

Laurent Saulnier au Festival international de jazz de Montréal en 2002.

M. C. : L’un des défis des dernières années, évidemment, a été la pandémie. Tu pars à un moment où on a le sentiment d’un quasi-retour à la normale. Est-ce que ce sera plus facile de partir à la fin de cet été que si tu étais parti l’an dernier ?

L. S. : Je ne serais jamais parti l’an dernier ! Aussi égoïste que ça puisse paraître, je tenais à vivre au moins une fois, une dernière fois, les festivals dans leur vrai déploiement.

Je ne pouvais pas concevoir de quitter le bateau alors qu’il est dans une mer en pleine dérive. On sait que cette année, on va faire des festivals comme on les faisait dans la période prépandémie. Et je vais en profiter !

Laurent Saulnier

M. C. : Tu as toujours eu une fonction d’éclaireur. C’était le cas quand tu étais journaliste et comme programmateur des festivals. Me reviennent en tête des unes du Voir consacrées à Bran Van 3000 ou à Jay-Jay Johanson dans les années 1990…

L. S. : Ou à Groovy [Aardvark], GrimSkunk ou B.A.R.F., à l’époque où ils remplissaient le Spectrum et que les grands médias n’en parlaient pas. On décidait au Voir de les mettre en couverture. Je trouve ça important de donner de la visibilité à des artistes qui ont un public réel ou potentiel. Si j’ai pu servir à ça, tant mieux ! Quand le premier disque d’Ariane Moffatt est sorti, on était très tard dans la programmation, et il ne nous restait qu’un spot sur la grande scène, genre un mardi à 18 h…

M. C. : Je m’en souviens très bien. Je me demande s’il n’était pas plus tôt même…

L. S. : C’était le seul spot qu’on avait, mais j’aimais mieux lui offrir celui-là plutôt que rien du tout. On a fait la même chose avec Lisa LeBlanc. Il faut prendre ces chances-là.

M. C : Il y a une dizaine d’années, Spectra a été racheté par le Groupe CH. As-tu vu des inconvénients à travailler dans une plus grosse entité ?

L. S. : Il y a des avantages et des inconvénients, c’est certain. Mais il y a une chose qui n’a pas changé : en 23 années de programmation, que ce soit à l’époque de Spectra ou depuis quelques années avec le Groupe CH, il n’y a jamais personne qui m’a dit quoi faire. Il n’y a personne qui a mis son nez dans la programmation en général.

M. C. : Tu quittes Spectra, mais tu ne pars pas à la retraite…

L. S. : Ah non ! Pas du tout. J’aime mieux arrêter un peu trop tôt qu’un peu trop tard, mais je reste consultant. Je ne vais pas travailler pour la compétition. Je vais travailler avec Pierre et si on a besoin de moi, je serai disponible.