Le projet de loi C-11 sur la diffusion en ligne ne fait pas de vagues, mais il est pourtant d’une importance capitale pour la survie de nos créateurs et l’avenir de notre culture.

Cette nouvelle loi, qui vise à rafraîchir la Loi sur la radiodiffusion, encore basée sur le système des radios traditionnelles, s’immisce dans l’univers des plateformes numériques telles que Spotify, Apple Music, Google Music, Amazon Music ou autre.

Ces plateformes ont remplacé les bons vieux disquaires ce qui fait que les artistes de la musique et de la chanson récoltent des miettes des géants du numérique. Mais ces plateformes sont aussi des outils de diffusion. Et si rien n’est fait pour mettre en valeur le contenu qu’elles offrent, les artistes vont continuer à se contenter de miettes. Ou pire, vont changer de métier.

La dernière tentative du gouvernement fédéral (loi C-10) de brasser la cage a échoué. Les travaux amorcés par Steven Guilbeault sont morts au feuilleton lors du déclenchement des élections. Cette fois, c’est Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien, qui porte le ballon. Espérons qu’il fera mieux que son prédécesseur.

Au cours des derniers jours, des ténors de l’industrie de la musique ont eu la chance d’exprimer leur vision. En toute discrétion, une quinzaine d’organismes ont présenté leur point de vue lors d’une journée d’audience qui s’est tenue mardi dernier à Ottawa.

L’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) était du nombre. J’ai lu le mémoire qui a été présenté. En gros, on demande aux plateformes d’offrir une plus grande visibilité aux créateurs de chansons du Québec afin de leur assurer une plus grande diffusion et, par le fait même, plus de ventes.

Pour appuyer sa position, l’ADISQ a commandé un sondage à la firme Léger Marketing que j’ai obtenu. On y apprend que 73 % des Québécois sont d’accord pour que « les gouvernements mettent en place une législation faisant en sorte que les plateformes de musique en ligne contribuent au financement de la musique comme le font les radios traditionnelles ».

Par ailleurs, 70 % des personnes interrogées « aiment qu’on leur propose d’écouter de la musique québécoise francophone sur les services d’écoute ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Eve Paré, nouvelle directrice générale de l’ADISQ

L’autre objectif, qui est poursuivi par certains organismes québécois, est la contribution à la création et à la production. Pour le moment, le Fonds de la musique du Canada et le Fonds des médias du Canada, les organismes qui permettent aux créateurs de recevoir des subventions, sont financés grâce aux contributions des radios et des télévisions. « Les plateformes numériques échappent complètement à cela », explique Eve Paré, directrice générale de l’ADISQ. « Elles ne contribuent pas au développement du contenu canadien. »

Les artistes ont absolument besoin que les choses changent, car l’argent qu’ils pouvaient faire à l’époque des disquaires ne se compare absolument pas aux maigres revenus qu’ils empochent aujourd’hui. « Les artistes québécois se retrouvent noyés dans un répertoire qui contient des millions de titres, reprend Eve Paré. À l’époque des disquaires, les disques québécois constituaient 50 % des ventes. Aujourd’hui, avec les plateformes, c’est tombé à environ 8 %. »

Il faut savoir que pour un million d’écoutes, la maison de disques qui a produit l’album va toucher entre 740 $ et 7800 $ selon la plateforme (Apple est celle qui offre le plus). Il faut donc obtenir plusieurs millions d’écoutes pour obtenir une somme substantielle.

La façon de mettre en valeur les artistes du Québec relèverait des diverses plateformes, selon leur modèle d’affaires. Cela pourrait passer par les listes d’écoute, le moteur de recommandation ou la mise en vitrine.

Oserons-nous inclure dans ce projet de loi (comme C-10 le prévoyait) les contenus offerts sur les réseaux sociaux comme TikTok ou YouTube ? Cette question risque de diviser et de compliquer les travaux. Mais aussi de compliquer la tâche du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, qui serait responsable de l’application de ces nouvelles règles.

Cette bataille, l’ADISQ n’est pas la seule à la mener. Jérôme Payette, directeur général de l’Association des professionnels de l’édition musicale, a également prononcé une allocution mardi dernier dans laquelle il disait : « Si notre musique ne rejoint pas le public, cela crée un effet d’entraînement qui se répercute sur la vente de billets de concert, la reprise des chansons par d’autres interprètes, l’incorporation de musique dans des productions audiovisuelles, et sur toutes les autres sources de revenus. »

Je me suis également entretenu il y a quelques jours avec Jean-Christian Céré, chef des services aux membres à la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. « On souhaite qu’il y ait du référencement dans l’univers du numérique et que ça génère du volume. On est sept millions au Québec, il en faut, du clic, pour qu’un artiste puisse vivre de la chanson. »

Eve Paré s’en allait à Ottawa dans le but de défendre la position de l’ADISQ. Mais elle a découvert qu’une autre bataille se dessinait : celle de la résistance des anglophones du reste du Canada qui ne voient pas les choses de la même façon. Selon elle, le débat est en train de se cliver.

« C’est une joute épique qui se joue présentement à Ottawa, m’a-t-elle dit. Nos amis libertariens de l’Alberta, qui sont pour le libre internet, sont contre toute forme de régulation des plateformes. Ils sont évidemment alimentés par les plateformes qui, elles, souhaitent se soustraire à toute réglementation. »

On a assisté au même phénomène en Europe de la part des géants du numérique quand certains pays ont mis sur pied des règlements pour encadrer les droits d’auteur.

Ils utilisent des tactiques de désinformation déloyales. Ils disent à ceux qui produisent du contenu pour TikTok ou YouTube qu’ils vont être désavantagés par une réglementation. Ces gens ont évidemment une peur bleue de perdre leurs maigres revenus.

Eve Paré

Mardi, le gouvernement du Québec a déposé une motion pour appuyer ce projet de loi. Tous les appuis seront nécessaires si on veut mener une véritable lutte contre ceux qui tirent maintenant les ficelles de l’industrie de la musique.

Nous avons perdu quelques maillons au cours des deux dernières décennies et on a la désagréable impression que cette industrie ne nous appartient plus, que nous ne sommes plus que des « fournisseurs de contenu ».

Un peuple qui n’a plus le contrôle sur sa culture est un peuple perdu. C’est bien connu. C’est pourquoi cette loi doit être promulguée.