OK, j’enfile ici deux paires de gants blancs – des neufs, en plus – pour écrire cette chronique à propos de la minisérie Pour toi Flora de Radio-Canada, qui rouvre les portes d’un pensionnat pour Autochtones d’Amos, au début des années 1960.

Parce que la réalisatrice et scénariste mohawk Sonia Bonspille Boileau, dont le grand-père a fréquenté une de ces écoles de réforme, a été en larmes pendant toute la conférence de presse qui a suivi la projection publique, lundi matin, des deux premiers épisodes de Pour toi Flora.

Parce que des survivants de ces pensionnats exploités par des religieux ont pleuré après le visionnement de presse en revoyant, sur grand écran, les sévices qu’ils ont endurés.

Parce que c’est un chapitre hyper douloureux de l’histoire du Québec et du Canada, où des enfants ont été arrachés à leurs familles, humiliés, endoctrinés, battus, violés et tués.

Parce que la réconciliation, parce que les sépultures anonymes de Kamloops, parce que le devoir de mémoire, je sais tout ça. C’est atroce, épouvantable, inhumain. Personne ne nie les faits.

Reste que comme chroniqueur, mon rôle consiste essentiellement à répondre à la question suivante : est-ce que c’est bon, Pour toi Flora ? La réponse, hélas, est celle-ci : c’est moyen. Ce n’est pas extraordinaire ni pourri. C’est juste moyen, alors que ce sujet délicat méritait une approche télévisuelle plus moderne et moins forcée.

Comme quoi, de bons sentiments ne fabriquent pas toujours de bonnes téléséries. Je me sens quasiment mal de l’écrire. Mais c’est la réalité : souvent, Pour toi Flora ressemble à de la télévision des années 90. La qualité du jeu des comédiens varie énormément et la musique dramatique appuie inutilement des scènes déjà très chargées, merci. Ce n’était pas nécessaire d’en ajouter une couche supplémentaire.

Les six épisodes de Pour toi Flora sortent jeudi sur l’Extra de Tou.TV et traverseront dans la grille de programmation régulière de Radio-Canada pour la prochaine saison. Aucune date de diffusion n’a cependant été confirmée.

Le recours à un narrateur très (trop ?) présent est probablement le choix le plus discutable de cette minisérie portée par des créateurs autochtones. Ce procédé alourdit le récit et devient irritant.

PHOTO ÉVA-MAUDE TC, FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Jean-Carl Boucher et Théodore Pellerin incarnent des frères, responsables de « l’intégration » des jeunes Autochtones.

Plongeons dans l’histoire, maintenant. La Flora du titre de l’émission est la sœur cadette de l’homme qui nous raconte son séjour traumatisant au pensionnat d’Amos, soit Rémi Dumont, joué par l’acteur Marco Collin, alias Bill Wabo dans Les pays d’en haut.

Au début, Rémi et Flora, deux jeunes Anichinabés (des Algonquins), vivent avec leurs parents et leur petit frère, quand deux hommes en robe noire, campés par André Robitaille et Jean-Carl Boucher, les déracinent et les enrôlent de force à l’école des Blancs.

Les oblats ont pour mission de franciser les « sauvages », de les sédentariser et de les acculturer. On coupe les cheveux de ces « Indiens », on brûle leurs vêtements, on leur attribue un numéro et on change leurs noms. Rémi s’adapte mieux que Flora et la protège des horreurs de leur nouvelle réalité.

La portion de la série qui se déroule au pensionnat, au début des années 1960, donne exactement ce à quoi le téléspectateur s’attend : coups de strap de cuir dans les mains des enfants récalcitrants, curé bienveillant (Théodore Pellerin), mais agresseur sexuel, religieuse empathique (Sophie Desmarais), mais prise dans un système oppressant qu’elle ne contrôle pas, frottage des corps avec des brosses en bois, bref, ça ressemble aux orphelins de Duplessis.

PHOTO ÉVA-MAUDE TC, FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Sophie Desmarais fait aussi partie de la distribution de Pour toi Flora ; elle incarne une religieuse.

La section de Pour toi Flora au présent s’éparpille et aurait dû être resserrée. Il y a un revirement à la fin du premier épisode qui étire l’élastique de la crédibilité, sans toutefois le casser. Ce punch s’articule autour du personnage quasi muet incarné par Dominique Pétin, dont on ne peut rien dévoiler pour ne pas divulgâcher l’intrigue.

Toujours dans le bout contemporain de Pour toi Flora, Virginie Fortin campe une éditrice qui reçoit le manuscrit autobiographique rédigé par le narrateur, Rémi Dumont (Marco Collin). Tiens, tiens. Le frère de cette éditrice, interprété par Antoine Pilon, se glisse dans la peau d’un policier montréalais qui, vous l’aurez deviné, patrouille un secteur où plusieurs itinérants autochtones « font du trouble ». Les ficelles sont grosses, mettons.

Mention spéciale pour les jeunes comédiens autochtones qui personnifient les pensionnaires avec beaucoup de naturel.

Le lancement médiatique de Pour toi Flora s’est tenu lundi au Cinéma du Musée. Un territoire autochtone non cédé, a précisé au micro un porte-parole de Radio-Canada, avant de passer la parole à un aîné, qui a récité une longue prière. Tout le monde s’est levé pour l’écouter.

Peu de temps après, un patron de Radio-Canada a aussi fondu en larmes en évoquant la genèse de Pour toi Flora. C’est peut-être moi qui suis devenu insensible, c’est possible. Mais j’ai été plus ému par les vrais témoignages de survivants des pensionnats, qui ont raconté leur parcours lundi, que par leur transposition en fiction au petit écran.