La chose est assez connue : Joël Le Bigot et moi avons une relation houleuse. Mais pour le chroniqueur que je suis, dont la radio est une passion, il aurait été inconvenant que de passer sous silence le départ de ce pilier d’ICI Première.

Après 45 ans de carrière, l’animateur de Samedi et rien d’autre, diffusée le samedi matin, a décidé que ça s’arrêtait là pour lui. Son départ change considérablement le paysage médiatique déjà bouleversé par l’annonce de nombreux autres départs.

Il n’y a pas de doute que les inconditionnels de cette émission qu’il présente depuis 24 ans auront à vivre une forme de deuil. Beaucoup l’ont exprimé sur les réseaux sociaux dès l’annonce de son départ. Mais d’autres ont aussi fait part de leur satisfaction.

Ce personnage coloré et controversé (il a tenu l’ombudsman de Radio-Canada bien occupé ces dernières années) ne laisse personne indifférent. Il est sans doute le premier à le reconnaître.

Ses admirateurs adorent son style incisif, sa grande culture et son amour inconditionnel pour la langue française. Je me souviens de cette émission qui rassemblait les radios publiques française, belge, suisse et canadienne. Un représentant de chaque pays devait faire deviner aux autres le sens d’un mot ou d’une expression typique de sa contrée. Joël Le Bigot fut chaque fois un ambassadeur de très grande qualité pour nous.

Même si sa famille a immigré au Québec alors qu’il n’avait que 2 ans, en 1948, Joël Le Bigot n’a jamais pu mettre de côté ses origines françaises (certains demeurent persuadés qu’il a grandi en France jusqu’à l’âge adulte). Dans les diverses émissions qu’il a animées, il a toujours donné beaucoup de place à l’actualité et à la réalité des « cousins ». Cela enchantait certains auditeurs autant que ça agaçait les autres.

Je fais partie de la seconde catégorie. Son obsession de la « mère patrie » m’a toujours exaspéré. Je l’ai déjà écrit dans une chronique cinglante à son égard en 2016. Ce texte m’a d’ailleurs valu les foudres du bouillant animateur un certain samedi matin. Même si ses propos contenaient quelques faussetés à mon sujet, sa réplique était de bonne guerre ! Je l’avais cherché.

Ses détracteurs, eux, ont souvent eu du mal avec le côté rude qu’il avait avec ses collaborateurs, n’hésitant pas à leur couper le sifflet à tout bout de champ. Ses passions et ses obsessions avaient aussi pour effet de taper sur les nerfs de certaines personnes. Ses envolées lyriques sur les bateaux et le grand large étaient devenues avec le temps caricaturales.

Mais rendons à César ce qui appartient à César, Joël Le Bigot est un grand communicateur et un intervieweur attentif. Autant il pouvait être « carré » avec ses camarades, autant il était toujours chaleureux avec ses invités. Il devenait alors celui qui voulait mettre en valeur plutôt que celui qui voulait écraser. Nous avions alors droit au Le Bigot accueillant, affable, gentilhomme.

S’il y a une chose que j’ai toujours beaucoup appréciée de lui, c’est l’énergie et la passion qu’il a mises sans relâche au service de notre patrimoine et de nos produits. Joël Le Bigot s’est toujours fait un devoir d’encourager les initiatives de créateurs, d’artisans et d’entrepreneurs de chez nous.

Ses meilleures rencontres demeurent pour moi, au-delà de celles qu’il a eues avec de nombreux géants, comme Philippe Noiret ou Gilles Vigneault (qu’il a interviewé un nombre incalculable de fois), celles qu’il avait avec des agriculteurs et des producteurs. Il pouvait alors dire avec insistance aux auditeurs l’importance de reconnaître et d’encourager notre savoir-faire.

Pendant toutes ces années, Joël Le Bigot a fait preuve d’une extrême fidélité envers ses collaborateurs. Autour de lui gravitaient Caroline Morin, Ariane Cipriani, Ève Christian, Guy Bois, Lionel Levac, Philippe Mollé, Jean-Claude Vigor, Christophe Huss, Stéphane Garneau, Jean-François Kahn, Michel Coulombe et Isabelle Porter.

Avant l’équipe actuelle, il a pu compter sur son inséparable Francine Grimaldi, de même que Richard Garneau, Gilles Archambault, Jacques Languirand et Edgar Fruitier afin de multiplier les blagues sur l’âge avancé de ceux qui l’entouraient. On a souvent senti que l’opération de rajeunissement que mène la direction de cette chaîne depuis quelques années est quelque chose qui l’agaçait profondément.

Une controverse a particulièrement marqué ses années au micro de Samedi et rien d’autre, celle du congédiement de François Parenteau, en décembre 2005. À la surprise générale, la direction a abruptement mis fin aux billets de l’ex-Zapartiste qui était invité chaque samedi à traiter de l’actualité avec « esprit, humour et fantaisie ».

Mais comme on trouvait que « l’humeur » avait pris le dessus sur « l’humour », la présence de Parenteau s’est arrêtée là. Certains ont vu là une demande venant de « l’au-delà ».

Joël Le Bigot est issu d’une longue lignée d’animateurs qu’on appelait autrefois des annonceurs. Avec son départ s’éteint une génération de communicateurs pour qui le respect de la langue française est fondamental.

Samedi matin, lorsqu’il s’est adressé aux auditeurs, il a dit qu’il prenait cette décision alors qu’il est encore capable d’être maître de sa vie, de décider ce que sera sa vie et de ne pas attendre que la vie décide pour lui.

Le Bigot ne faisait pas l’unanimité. Mais cela, il s’en foutait éperdument. C’était pour lui un atout de sa personnalité. Et une façon d’être maître de sa vie.

Allez, je vous souhaite bon vent, cher vieux loup de mer !

Qui succédera à Le Bigot ?

Le départ de Joël Le Bigot vient complexifier davantage le casse-tête de grille-horaire auquel la direction d’ICI Première doit faire face en prévision de la rentrée automnale. En plus de devoir combler les cases de l’après-midi en semaine (laissée vacante par Plus on est de fous, plus on est lit) et du dimanche après-midi (laissée vacante par l’équipe de La soirée est (encore) jeune), on devra trouver la bonne personne pour occuper le grand créneau du samedi matin.

Plusieurs noms me viennent à l’esprit. D’abord, l’évidence même : Franco Nuovo, à qui la direction pourrait demander d’animer les matinales du samedi et du dimanche comme cela fut le cas autrefois. On a cru comprendre que les collaborateurs de Le Bigot allaient demeurer en place l’automne prochain. Nuovo composerait-il avec deux équipes différentes ? Cela m’apparaît improbable.

Et puis, je pense à Isabelle Craig, qui serait parfaite pour le ton qu’exige cette émission. Également, Karyne Lefebvre ou Catherine Perrin. Et puis, j’imagine bien que Stéphane Garneau, fidèle remplaçant de Le Bigot, va lever la main.

La direction pourrait aussi considérer Philippe Fehmiu, qui assurera l’animation de ce créneau cet été, ou André Robitaille. Par ailleurs, Jean-Philippe Wauthier serait, à mon avis, un formidable candidat. Mais il ne veut plus travailler le week-end.

Sortons de la boîte un peu, comme disent les anglos. Et pourquoi pas Monique Giroux ? Cette animatrice chevronnée est capable de parler d’autre chose que de chanson.

Le Bigot est une grosse pointure. La direction pourrait être tentée d’aller chercher une « vedette » de l’extérieur. Mais prendre un gros nom juste parce qu’il a un gros nom est un pari risqué.

En dernier lieu, j’aimerais ajouter qu’il est tout de même ironique que l’annonce du départ de Joël Le Bigot survienne une semaine après celle de Paul Houde du 98,5 FM. Les deux animateurs occupent les mêmes créneaux.

Est-ce que les patrons de Cogeco auraient pris la même décision s’ils avaient su que le prince du samedi matin allait tirer sa révérence ?