Il y a deux méthodes d’absorption de téléréalité – ou de boissons sucrées commanditées, mais il s’agit d’un autre dossier.

Au deuxième degré, le téléspectateur s’ancre à L’île de l’amour pour râler contre les cure-dents mollasses que mâchouillent les colosses de Las Terrenas ou pour s’abreuver aux brillantes paroles d’Évangile d’Amanda, qui répète sans cesse que « la vie fait les choses ».

À travers le prisme du premier degré, vous croyez dur comme fer que tout problème conjugal se jugule en appliquant les cinq dualités de Louise Sigouin sur la plaie et vous pensez que les célibataires d’Occupation double trouveront vraiment l’amour – et non des abonnés Instagram – dans une mégamaison Bonneville.

Dans quel camp plantez-vous votre drapeau ? Sans surprise, je crèche au deuxième degré, celui du sarcasme piquant et de l’observation semi-méchante. C’est d’ailleurs la technique d’autodérision super efficace qu’emploient Jay Du Temple à OD et Mehdi Bousaidan à L’île de l’amour.

L’arrivée de Si on s’aimait à TVA – et son vernis pédagico-sexo-relationnel – a brouillé nos perceptions du genre docuréel, croit Pierre Barrette, directeur de l’École des médias de l’UQAM.

Dans le cadre d’un vaste projet de recherche de cinq ans sur la téléréalité, le professeur Pierre Barrette a analysé la troisième saison de Si on s’aimait, que TVA a relayée au printemps 2021. Pour vous rafraîchir la mémoire, c’est le célèbre chapitre des fraises moisies de Tim, du spectacle de cornemuse de Jean-François et du cours d’aqua-sirène de Dominic. Un pur bijou de télé, à mon avis.

Le spécialiste de la télé Pierre Barrette voit ces scènes (devenues classiques) d’un autre œil. « Ça m’a fasciné. Contrairement à Occupation double, Si on s’aimait n’est pas du tout dans la représentation ludique. »

« On est devant une émission qui fait la promotion d’un univers réel, avec de vraies personnes, qui vivent des relations réelles. Il y a une promesse d’authenticité dans les épisodes. J’ai été flabbergasté, car c’est l’émission la plus feinte que j’ai vue. On véhicule cette idée que c’est la réalité alors que c’est stagé », remarque Pierre Barrette, qui a présenté ses observations au congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas) tenu la semaine dernière.

Précision : Pierre Barrette ne fait pas ici référence aux séances de thérapie avec Louise Sigouin, mais bien aux ateliers de « roulage de sushis » ou de création de mandalas auxquels s’adonnent les couples, qui manquent souvent de naturel, nommons notre inconfort.

Dans Occupation double sur Noovo, il y a capitaine Twist, Lady Pagaille, un univers bling-bling, un chalet-loft à gagner et personne ne se prend au sérieux. Du côté de Si on s’aimait, la production se décarcasse pour « masquer la mise en scène », glisse le professeur Pierre Barrette.

« J’ai de l’empathie pour les téléspectateurs de Si on s’aimait, qui pensent qu’ils assistent à de véritables histoires d’amour et qui boivent les paroles de la sexologue comme un nectar de vérité. On nous vend l’émission comme une histoire vraie et authentique. J’ai un petit problème éthique avec ça. La plainte contre Louise Sigouin ne m’a pas étonné », poursuit M. Barrette.

PHOTO FOURNIE PAR TVA

Deux des participants de la dernière saison de Si on s’aimait, Tim et Marie-Denise

Dans une lettre ouverte reproduite dans Le Journal de Montréal à la fin d’avril, Louise Sigouin a annoncé son retrait de l’Ordre professionnel des sexologues du Québec (OPSQ) à la suite d’une plainte qui a été déposée contre elle, la première en 30 ans de carrière, a-t-elle précisé. Les gestes spécifiques qui lui sont reprochés n’ont pas été dévoilés.

Deux semaines plus tôt, Le Devoir a publié les témoignages anonymes de quatre ex-participants de Si on s’aimait qui estimaient que Louise Sigouin avait « failli à ses obligations déontologiques pour faire de la bonne télé ». Bon. J’enfile ici des gants blancs pour ne pas froisser ces quatre victimes de la vilaine docuréalité de TVA. Poursuivons.

J’ai souvent parlé au « leader » des quatre célibataires qui ont détesté leur passage à Si on s’aimait. Il poussait très fort pour que son histoire sorte dans les médias. Je peux le comprendre, car son image y a été égratignée. Il est un de ceux qui ont dénoncé Louise Sigouin à son ordre professionnel.

Mais à chacune de nos conversations, je lui reposais la question à 120 $ de l’heure : à quoi t’attendais-tu en t’inscrivant à une thérapie à laquelle assisteraient 800 000 téléspectateurs, du lundi au jeudi ? Pensais-tu sincèrement que d’apparaître dans une téléréalité Cupidon allait être plus efficace que d’amorcer une thérapie dans un cabinet professionnel ? Je veux dire, soyons sérieux.

C’est déjà hyper difficile de se confier à un psychologue, seul à seul, semaine après semaine. Maintenant, qui est assez kamikaze pour exposer son passé trouble, ses problèmes de consommation ou ses relations toxiques à TVA, en heure de grande écoute ? C’est courir après le trouble et les trolls, mettons.

Les cobayes de Si on s’aimait ne s’enrôlent pas pour l’argent, car ils ne reçoivent pas de paie de la production. Le font-ils pour la visibilité ? Pour la consultation gratuite avec Louise Sigouin ? Ou pour un mélange de ces deux options ?

La téléréalité existe depuis assez longtemps pour que ses futurs concurrents sachent que a) il y aura beaucoup de montage dans les épisodes, b) les moments les plus gênants détrôneront assurément ceux où ils ont l’air brillants et que c) les réseaux sociaux les dévoreront tout cru.

Une des quatre personnes citées dans Le Devoir, qui avait copieusement haï son expérience de Si on s’aimait, est retournée de son plein gré pour l’épisode des retrouvailles, qui a été inséré à la fin de la troisième saison. Ça me laisse perplexe.

Selon une source à TVA, la démission de Louise Sigouin de l’Ordre professionnel des sexologues du Québec ne change strictement rien à la survie de Si on s’aimait. Le tournage de la quatrième saison a été bouclé et sa diffusion est prévue en janvier 2023. Il n’a pas été possible de parler avec Louise Sigouin, l’Ordre professionnel des sexologues du Québec ou la productrice de Si on s’aimait, Anne Boyer, de Duo Productions.

Voilà une fâcheuse situation qui me fait sentir solitaire, dépendant et émotif.