En mars 2021, la librairie Marie-Laura de Jonquière a aménagé un coin « Bookflix » pour accrocher l’œil des téléspectateurs, qui sont aussi des lecteurs (bonjour !). Sur les tablettes, des titres comme La chronique des Bridgerton, de Julia Quinn, La servante écarlate, de Margaret Atwood, et L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante.

« Ça a vraiment marché très fort. Et il y avait beaucoup de gens qui ne savaient pas que ces séries, qu’ils avaient pourtant vues, provenaient de livres », constate Pascale Brisson-Lessard, libraire chez Marie-Laura.

Les adaptations télévisuelles de romans ne datent pas d’hier. Sortez ici l’argument indestructible des Filles de Caleb, d’Arlette Cousture, d’Au nom du père et du fils, de Francine Ouellette, ou des Belles histoires des pays d’en haut, de Claude-Henri Grignon. Mais avec la multiplication des plateformes numériques, des créatures voraces à l’appétit infini pour du contenu frais, les bouquins s’avèrent une solution efficace pour nourrir la bête. Si ces livres proviennent d’une trilogie ou d’une longue série, c’est encore plus rassasiant.

Il n’y a qu’à éplucher Netflix, Crave, Amazon Prime Video, Club illico, Apple TV+, l’Extra de Tou.tv pour le constater. Dans les œuvres récentes, vous dénicherez Normal People, de Sally Rooney, Un lien familial, de Nadine Bismuth, Sans un mot, de Harlan Coben, Firefly Lane, de Kristin Hannah, Le monstre, d’Ingrid Falaise, Pachinko, de Min Jin Lee, Anatomy of a Scandal, de Sarah Vaughan, Germinal, d’Émile Zola, ou The Shining Girls, de Lauren Beukes.

Vous avez encore faim de télé littéraire ? Dégustez les aventures d’Arsène Lupin, de Maurice Leblanc, The Time Traveler’s Wife, d’Audrey Niffenegger, Tokyo Vice, de Jake Adelstein, Le jeu de la dame, de Walter Tevis, À l’ombre des magnolias, de Sheryl Woods, Station Eleven, d’Emily St. John Mandel, The Witcher, d’Andrzej Sapkowski, Victor Lessard, de Martin Michaud, ou Shadow and Bone, de Leigh Bardugo.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le roman de Jean-Philippe Baril-Guérard Manuel de la vie sauvage a d’abord été adapté à la scène avant de faire l’objet d’une télésérie.

Toutes des séries que vous pouvez vous autodivulgâcher en lisant le matériel original. Chez nous, Séries Plus a relayé ce printemps Manuel de la vie sauvage, de Jean-Philippe Baril-Guérard, et concocte Haute démolition, du même auteur. À TVA, Guylaine Tremblay a décroché le rôle principal de la minisérie dérivée du roman Anna et l’enfant-vieillard, de Francine Ruel.

Même le matériel déjà récupéré par le cinéma se recycle au petit écran. Amazon Prime Video sortira en septembre une série télé à propos du Seigneur des anneaux, de Tolkien, tandis que HBO mitonne un projet de relance de Harry Potter, de J. K. Rowling.

Bien sûr, il ne faut pas négliger des classiques du genre télélivresque comme Outlander, de Diana Gabaldon, True Blood, de Charlaine Harris, et Game of Thrones, de George R. R. Martin.

Maintenant, est-ce que l’essor de ces séries romanesques stimule le goût de la lecture ? Réponse : oui. Les librairies ne peuvent plus faire autrement : elles scrutent attentivement le calendrier de mise en ligne des séries découlant d’œuvres littéraires, pour éviter des pénuries sur les rayons.

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Omar Sy dans la série Lupin a contribué au nouvel engouement pour les romans policiers de Maurice Leblanc.

Dès que la série sort, il y a un effet immédiat sur les ventes, c’est instantané. Il faut donc anticiper la demande. Lupin, personne ne s’attendait à un aussi grand engouement. Même l’éditeur Hachette a été pris de court.

Floriane Claveau, directrice des communications de Renaud-Bray et Archambault

Présentement, c’est Bridgerton, de Julia Quinn, qui profite à fond de sa popularité sur Netflix. Avant le lancement de la version télé, l’éditeur de Bridgerton au Québec, Flammarion, confirme que les ventes étaient très basses.

« L’effet de la saison 1 s’est d’abord fait sentir sur la vente des livres numériques, puisque les exemplaires en format papier ne sont sortis dans leur nouvelle édition qu’en janvier 2021. Ce qui est intéressant pour cette série de livres, c’est que nous recrutons constamment de nouvelles lectrices, car ce sont les ventes du tome 1 [Daphné] qui sont les plus élevées et durables », explique le directeur des éditions Flammarion Québec, Erwan Leseul.

Pour les neuf tomes de Bridgerton, Flammarion chatouille des ventes de 200 000 exemplaires au Québec. C’est énorme, quand on sait qu’à 5000 exemplaires bradés, on tient un gros best-seller entre les mains. En 2021, le top 50 des livres les plus vendus au Québec renfermait 5 volumes de la collection de Bridgerton (Daphné, Anthony, Benedict, Colin et Éloïse), selon le bilan fourni par la Société de gestion de la banque de titres de langue française.

La production de la série La servante écarlate a également projeté ce roman dystopique au sommet des palmarès, plus de 30 ans après sa sortie. Depuis 2017, 8 millions d’exemplaires du livre de Margaret Atwood ont été achetés, a révélé l’animateur de La grande librairie sur France 5, François Busnel, dans le cadre du festival Séries Mania, il y a un mois. Avant qu’Elisabeth Moss ne soit associée à ce personnage d’esclave, moins de 1 million d’exemplaires du roman avaient été écoulés.

Longtemps, les écrivains dits sérieux ont hésité avant de céder leurs droits pour des adaptations télévisuelles. Ils préféraient le septième art, plus noble, plus prestigieux, plus glamour. Cette appréhension a été pulvérisée avec la montée des séries de prestige.

Si, comme moi, vous adorez la télé et les livres, voici deux suggestions littéraires québécoises, campées dans le milieu de la télévision et du showbiz : Au pays du désespoir tranquille, de Marie-Pierre Duval, ainsi qu’Une femme extraordinaire, de Catherine Ethier.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

L’auteure d’Au pays du désespoir tranquille, Marie-Pierre Duval

Au pays du désespoir tranquille est le récit sans filtre d’une quarantenaire que la télé a broyée, que le désir de perfection a éteinte et que la vie domestique a vidée de son essence. Un burnout, qu’elle tente de comprendre et de guérir.

Elle écrit divinement bien, Marie-Pierre Duval, qui a travaillé comme recherchiste et rédactrice en chef aux Francs-tireurs et à Deux hommes en or à Télé-Québec. Une information cruciale qui vous permettra de décoder certains passages croustillants de cette autofiction.

Une femme extraordinaire explore le mal de vivre d’une autre jeune femme : Corinne Gazaille, l’alter ego de Catherine Ethier, chroniqueuse pimpante à la radio et à la télé.

Mon doux qu’elle est formidable, Corinne Gazaille, et drôle, et allumée, et funnée et tout et tout. Sauf que Corinne ne se sent pas du tout comme son personnage public si guilleret et amusant. Corinne broie du noir et pense à se tuer presque tous les jours. Vous lisez le roman de Catherine Ethier et vous l’entendez parler avec cette langue chargée qu’elle manie si bien. Vous avez également accès aux recoins plus sombres de sa vie. Parce que ça arrive que le clown devienne triste.