J’ai voulu m’acheter un billet pour aller voir ce cher vieux Sting en spectacle au Centre Bell. Eh bo-boy ! Si on exclut les billets à 924 $, 788 $, 424 $ ou 148 $, il me reste la possibilité d’apercevoir l’ex-leader de The Police gros comme une coccinelle moyennant 88 $.

J’ai donc décidé de m’offrir un bon sancerre le soir du 5 mai et d’écouter ses disques.

Ce petit voyage au pays de la démesure m’a donné l’idée de sonder notre industrie du spectacle. Assistons-nous à une montée du prix des billets comme tout le monde semble le croire ?

Après avoir scruté les sites où l’on vend des billets et réalisé une douzaine d’entrevues avec des professionnels du milieu, on arrive à la conclusion que nous payons en effet plus cher pour un billet de spectacle qu’avant le début de la pandémie.

Mais attention, tout cela est de l’ordre de l’acceptable. Ce n’est pas demain la veille que l’on va balancer 475 $ pour voir Marc Dupré sur scène.

Selon le type de spectacle, la salle et la ville où il est offert, de même que le contexte dans lequel il est produit (institution subventionnée ou production privée pas ou peu subventionnée), on observe une augmentation de 5 % à 15 %.

« Je ne crois pas que ça ira au-delà de ça pour le moment », m’a dit David Laferrière, président du conseil d’administration de l’organisme RIDEAU, qui regroupe 350 salles de spectacle, et directeur général du Théâtre Gilles-Vigneault, à Saint-Jérôme.

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David Laferrière, président du conseil d’administration de l’organisme RIDEAU et directeur général du Théâtre Gilles-Vigneault, à Saint-Jérôme

Cette augmentation, deux fins observateurs de la culture et du monde du spectacle l’ont faite au cours des derniers mois. « Les organismes privés ont aussi reçu de l’aide, mais dans leur cas, ce fut plus douloureux que pour les institutions subventionnées, explique Renaud Legoux, professeur de marketing à HEC. Certains voient qu’il y a beaucoup d’appétit pour leurs productions et augmentent les prix. »

Son collègue André Courchesne, professeur associé à la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux, est aussi de cet avis. « C’est simple, c’est la loi de l’offre et la demande », dit-il. Quant à Simon Brault, directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada, il remarque le même phénomène. « C’est comme s’il y avait une volonté de se rattraper. Il faut dire que Montréal était déjà en deçà d’un marché comme celui de Toronto. »

Je n’ai toutefois pas eu le même son de cloche de la part de certains diffuseurs et producteurs. Martin Leclerc, producteur de plusieurs spectacles, dont Pour une histoire d’un soir, m’a dit qu’il n’a pas changé ses prix. Du côté de la salle Albert-Rousseau, à Québec, on m’a aussi dit que les prix demeurent inchangés. Même chose pour le Festival Juste pour rire.

Quant à la salle Odyssée, à Gatineau : « On réussit à travailler avec les producteurs pour garder les prix accessibles sans augmentation majeure », m’a-t-on écrit. J’ai tenté d’avoir le point de vue de L’Étoile, la salle du DIX30, à Brossard, qui a une programmation très riche, mais on n’a pas répondu à mes demandes d’entrevue.

Quand on consulte les grilles de prix d’avant la pandémie, il est vrai que l’on voyait beaucoup plus de billets à 28 $ ou 37 $ et que les billets à 48 $, 59 $ ou même 84 $ sont aujourd’hui plus nombreux. Vous ne serez pas surpris que les plus fortes augmentations touchent le domaine de la musique populaire et de l’humour.

Au sujet des grilles, je remarque aussi que les grandes salles et les amphithéâtres ont des offres extrêmement variées. On a l’impression que chaque rangée a maintenant son prix.

On est dans une hypersegmentation. On a créé des systèmes pour établir des stratégies de prix très pointues. La pandémie a permis aux gestionnaires de réfléchir et d’améliorer leurs stratégies, leur positionnement et leur marketing.

Renaud Legoux, professeur de marketing à HEC

Inquiétude pour les abonnements

Du côté des institutions subventionnées, on constate que les augmentations sont moins grandes. Si on compare les tarifs d’avant la pandémie à ceux de la saison 2022-2023, on observe une augmentation allant de 5 % à 10 %. L’aide des gouvernements contribue à empêcher une flambée de prix.

Au Rideau Vert, le prix d’un billet ordinaire est passé de 51 $, en 2019-2020, à 55 $ pour la saison 2022-2023. On parle donc d’une augmentation de 7,3 %. En ce qui a trait au traditionnel spectacle Revue et corrigée, le prix est passé de 60 $ à 68 $, soit une majoration d’environ 12 %.

Au TNM, une uniformisation de la grille tarifaire (autrefois basée sur les jours ou les heures de représentation) fait en sorte que certains abonnés « ont eu une petite majoration, pour d’autres ç’a été le statu quo, et certains ont même eu une réduction », m’a-t-on écrit.

Chez Duceppe, où on a plutôt adopté la formule d’une grille offrant plusieurs possibilités, on évalue l’augmentation des prix à environ 5 %. « Construire un décor coûte 30 % plus cher qu’il y a deux ans », m’a confié Amélie Duceppe, directrice générale du théâtre.

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Amélie Duceppe, directrice générale du Théâtre Duceppe

Renaud Legoux et André Courchesne m’ont tous les deux parlé des coûts de production, de tournée, de transport et de diffusion internationale, qui ont explosé au cours des dernières années. La pénurie de main-d’œuvre que nous connaissons se fait sentir dans le domaine des arts où il y a un grand besoin de professionnels dans les sphères du marketing, des campagnes de financement et de l’administration.

« Je me retrouve à appeler des étudiants avec peu d’expérience pour voir s’ils sont prêts à prendre un poste en comptabilité à 40 000 $ par année, dit André Courchesne. On n’a pas le choix d’augmenter ces salaires et c’est ce que le CALQ (Conseil des arts et des lettres du Québec) veut faire. »

Un autre aspect crucial qu’il faudra surveiller au cours des prochaines semaines touche les formules d’abonnement qu’offrent plusieurs institutions. Après deux ans de pandémie, les spectateurs ont moins envie de se projeter dans le temps.

Alors que les lancements de saison se multiplient, une certaine inquiétude s’installe chez les gestionnaires. « Bien sûr qu’il y a une anxiété, m’a dit Amélie Duceppe. Les abonnements offrent moins de revenus, mais ça sécurise. »

À l’Orchestre Métropolitain, on est « curieux » de voir comment les choses vont aller. « On peut compter sur nos purs et durs, mais allons-nous retrouver tous nos abonnés ? », se demande Martin Hudon, directeur général adjoint de l’OM. Du côté de l’Orchestre symphonique de Montréal, on « remarque une réserve chez certains clients à revenir en salle », mais on compte sur l’arrivée officielle de Rafael Payare en tant que directeur musical pour attirer les mélomanes.

Il va falloir que les théâtres aillent chercher leurs abonnés un par un. Il y a toujours un noyau de mordus, qui constitue environ 25 % à 30 % de leur public. Mais ils vont devoir travailler très fort sur les autres. Certains ont pris des habitudes avec d’autres produits culturels, les plateformes de diffusion et la lecture notamment.

André Courchesne, professeur associé à la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux

Les festivals d’été ont la cote

Si le domaine du spectacle en salle a d’énormes défis devant lui, on s’attend en revanche à ce que les festivals d’été bénéficient d’une belle frénésie. Les organisateurs du Festival d’été de Québec pensent connaître une édition « exceptionnelle ». Les laissez-passer donnant droit aux 12 soirées coûtent 130 $ (une augmentation de 20 $ par rapport à 2019) se sont tous envolés.

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Le spectacle de Shay Lia présenté l’an dernier au Festival international de jazz de Montréal

« Le premier indicateur de cet engouement est venu lors de la prévente, explique Anne Hudon, directrice générale de l’évènement. Les gens ne connaissaient pas encore la programmation et achetaient les laissez-passer. »

Xavier Roy, directeur général du Festival de Lanaudière, est aussi très « optimiste », d’autant plus qu’il pourra accueillir les spectateurs au maximum de sa capacité à l’été (2000 personnes sous le toit et 4000 sur la pelouse).

« Les Québécois ont un grand appétit de culture après deux ans, ajoute André Courchesne. Et surtout un appétit de se retrouver. Et ça, ça a un prix. Ça crée un effet que j’appelle l’expérience réelle. Pour les grands festivals, l’été qui s’en vient va être fantastique. Et ils vont profiter de cette manne-là. Ils vont sans doute augmenter les prix, car ils sont peu subventionnés. »

P.-S. Vous avez acheté un billet de spectacle récemment et vous avez fait le saut comme moi ? Écrivez-moi !