Bibelots et meubles ont été emballés et le condo, vidé. Après deux saisons remplies de discussions juste assez arrosées et de snacks avalés sur le coin du comptoir, Patrick Huard a mis la clé sous la porte de son loft de La tour jeudi soir.

Nostalgique, le quinquagénaire qui porte, selon les projets, les casquettes d’acteur, scénariste, humoriste, animateur, producteur et réalisateur ? « Je ne savais pas à quoi m’attendre. Je sentais une sorte de pression à savoir comment j’allais vivre ma dernière journée sur La tour. Mais oui, ç’a été émotif. Je ne suis pas tant habitué aux adieux. Quand tu fais un film ou une série, tu le sais quand ça finit et c’est toujours festif au dernier party. On s’en va ensuite sur un autre bateau, il y a des membres de ton équipe qui te suivent sur d’autres aventures. Là, vraiment, c’est fini », confie Patrick Huard au bout du fil.

La tour aurait pu durer plusieurs années encore. Cet assemblage quotidien de gros bon sens, d’humilité et de curiosité a ravi les téléspectateurs, qui ont parfois trompé District 31 (coupable !) avec la bande à Patrick Huard.

La décision de descendre de La tour a été prise en famille avec sa femme, Anik Jean, et leur fils Nathan, 10 ans. « Si ma grande fille [Jessie, 24 ans] vivait encore à la maison, c’est certain que je lui en aurais parlé. Mon travail touche ma famille. Et ce n’est pas possible pour moi de faire un film l’été et d’avoir La tour toute l’année. C’est beaucoup trop. Je suis quelqu’un de très investi. Mon fils a 10 ans et La tour, ça représente 20 % de sa vie », indique Patrick Huard, qui apparaît aussi dans la très bonne télésérie Les honorables du Club illico.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER D’ANIK JEAN

Patrick Huard entouré de sa femme, Anik Jean, et de leur fils Nathan, 10 ans

Avec La tour à TVA, l’humoriste-intervieweur a bousculé les codes du talk-show traditionnel. Sans orchestre, sans pupitre et sans présentations formelles, les convives entraient et sortaient de son appartement sur un thème musical rétrochic évoquant Ocean’s Eleven.

Patrick Huard dit avoir « travaillé à l’envers » pour éviter d’animer de façon conventionnelle. Il a recréé un lieu fermé, avec quatre murs, qui a servi de bulle d’intimité pour les nombreuses vedettes qui l’ont visité.

J’ai toujours agi comme si je recevais chez moi, dans ma maison, et les invités embarquaient. Il y a une pression de performance pour les artistes quand ils arrivent sur un plateau de télé devant un public et un band. Il fallait que le lieu existe pour vrai, pour que les conversations soient vraies. Les invités se sentent alors à l’aise.

Patrick Huard

Le capitaine de La tour a mené la majorité de ses entrevues en suivant son instinct. Il inscrivait des mots sur un carton « pour dessiner un plan, une sorte de road map », mais il ne s’imposait aucun carcan échafaudé en amont. « Le chemin de conversation se traçait selon une logique émotive. Oui, je lisais les dossiers de recherche avant, mais ça ne servait à rien de forcer les choses avec une crowbar. Je prenais ce que les invités avaient à offrir et je les écoutais », explique Huard, 53 ans.

L’écoute et l’ouverture de l’animateur, des qualités de plus en plus rares à la télé québécoise, ont teinté tous les épisodes de La tour depuis septembre 2020. Le tout, dénué de prétention. Très souvent, l’émission finissait à 19 h 30 et je me demandais pourquoi La tour ne durait pas une heure ou 90 minutes. Il me semble qu’on en aurait pris davantage.

Selon Patrick Huard, le format de 22 minutes a permis à La tour de garder une certaine légèreté. « J’ai l’impression que j’aurais eu le réflexe d’aller dans des sujets plus denses si j’avais eu une heure d’émission, je me connais », note Patrick Huard.

PHOTO MARC-ANDRÉ LAPIERRE, FOURNIE PAR TVA

Patrick Huard dans le décor de La tour

Après les trois premières semaines de diffusion de La tour, un ami de Patrick Huard lui a fait remarquer qu’il pilotait « le podcast avec le plus beau décor » qu’il n’avait jamais vu.

Cette observation est très juste. La tour a implanté cette atmosphère de confidence et de liberté que l’on retrouve moins à la télévision.

Patrick Huard est particulièrement fier de l’épisode sur le racisme systémique où il a reçu, en mars 2021, le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, en compagnie de Michelle Audette et du rappeur Quentin Condo. « On y a vu des gens qui se parlaient dans la face, direct, mais avec beaucoup de respect », se souvient-il.

Pour la suite de La tour, Patrick Huard ne jouera pas aux belles-mères avec Gildor Roy, qui lui succédera en septembre prochain. « On n’aime déjà pas les belles-mères en politique. En création, on les aime encore moins. C’est à Gildor de s’approprier l’émission », affirme Patrick Huard, qui n’a pas de « droit de regard » sur les modifications qui pourraient être apportées au concept original.

À propos de la controverse sur le « blanchiment » de la comédie Escouade 99, qu’il a réalisée il y a deux ans pour le Club illico, Patrick Huard parle d’une erreur, d’une maladresse, qui a tout de même permis d’avoir une conversation importante sur la représentation des communautés culturelles.

Dans notre monde ultraclivé, il plaide, et je suis 100 % d’accord avec lui, pour que nous ayons collectivement « plus de patience pour la nuance ».

« Au début, il y a toujours beaucoup de bruit, ça crie. Tout est noir ou blanc, et ça se grisaille par la suite », raconte Patrick Huard, absent de tous les réseaux sociaux.

Et pourquoi boude-t-il Facebook, Instagram et Twitter ? Parce qu’il absorberait tous les commentaires négatifs et qu’il serait incapable de « s’en câlisser » comme Guy A. Lepage, par exemple.

Même s’il souhaite s’accorder du repos dans les prochains mois, l’agenda professionnel de Patrick Huard se remplit déjà. Il animera la compétition humoristique LOL (Last One Laughing) : Qui rira le dernier ? pour la plateforme Amazon Prime Video.

Chez Bell Média, il planche sur une télésérie d’envergure où il incarnera le pilote mercenaire Raymond Boulanger. Et il peaufine également une série sur l’ex-enquêteur vedette du SPVM Benoit Roberge, qui a vendu des informations à un motard en 2013.

Patrick Huard est un des rares électrons libres du showbiz québécois, qui ne s’attache à aucun réseau. Il faudrait plus de gens comme lui dans notre star-système : sympathique, généreux, talentueux et grande gueule, oui. Mais une grande gueule qui sait autant écouter que son Rogatien Dubois aimait bavarder.