Question chargée aujourd’hui, écrite avec trois paires de gants blancs. Est-ce qu’il y a moyen de parler de Safia Nolin sans nécessairement flirter avec les extrêmes ?

Est-ce qu’on peut aborder ses relations houleuses avec les médias – sociaux et traditionnels – sans automatiquement la sanctifier ou la traîner dans la boue de façon malicieuse ?

C’est dans cette zone nuancée qu’a navigué Marie-Louise Arsenault, mercredi soir, à l’émission Dans les médias de Télé-Québec. L’entrevue qu’elle a menée avec l’auteure-compositrice-interprète de 30 ans était excellente. Ni complaisante ni agressante, l’animatrice a exploré le gris qui entoure cette chanteuse, dont chacune des apparitions déclenche un déluge de haine.

Avec aplomb, Safia Nolin a répondu à toutes les questions de l’animatrice, sans se défiler, même quand Marie-Louise Arsenault lui a demandé si elle jouait volontairement à la victime.

Réponse de la chanteuse : la société est difficile pour quelqu’un qui n’est pas mince, blanche et hétérosexuelle. Là-dessus, Safia Nolin, dont le père est algérien, a raison. À la grande loterie de la vie, elle n’a pas pigé les numéros gagnants, soyons honnête.

Elle-même se décrit comme une femme grosse, lesbienne, poilue et arabe. Safia Nolin parle franglais. Elle montre sa barbe et ses aisselles touffues sur Instagram. Oui, c’est confrontant, dérangeant, même pour une personne dite ouverte d’esprit, il faut le reconnaître. Mais de là à éviscérer l’artiste de Limoilou sur Facebook ou Twitter, il y a un énorme pas que la plupart d’entre nous ne franchissent pas, heureusement.

Safia Nolin reste une énigme. Autant je la trouve courageuse de défendre ses opinions parfois controversées, autant je me demande s’il ne s’agit pas d’autodestruction, de provocation ou de manque de jugement.

On la voit promouvoir la diversité corporelle sur Instagram ou dénoncer le peu de place des femmes dans l’industrie musicale et on se dit : go Safia, n’abandonne pas ces combats importants.

Puis, le lendemain, Safia Nolin pose avec un chandail frappé du sigle ACAB (All Cops Are Bastards, tous les policiers sont des salauds), et on se dit : mais pourquoi a-t-elle fait ça ? Pourquoi une chanteuse qui se bat justement contre les stéréotypes et les étiquettes tombe-t-elle dans ces généralisations grossières ? Un exemple criant de bottines qui ne suivent pas les babines.

Elle est difficile à suivre, Safia Nolin. On a le goût de lui dire de choisir ses combats pour se protéger des trolls qui n’attendent que le moment où elle leur ouvre la porte pour saccager sa maison.

Ces trolls ne disparaîtront pas, hélas ! et les commentaires qu’ils déversent sur Safia sont odieux et d’une violence inouïe. Personne ne mérite ça.

En même temps, la musicienne sait que ses interventions publiques, même les plus anodines, vont inévitablement lui valoir une volée d’insultes. Elle en souffre systématiquement, mais elle continue à foncer dans le tas, la tête baissée et enfournée à « Broil ».

Inconscience ou bravoure ? Je ne sais plus. Pourquoi ne pas canaliser toute cette énergie dans des textes ou des chansons ?

Elle n’est pas évidente à comprendre, Safia Nolin. Elle s’avance sur des terrains glissants (exemple : les allégations d’agression sexuelle visant Patrick Bruel) qui nécessitent une importante mise en contexte, ce que ne permet pas une « story » éphémère sur Instagram. Safia est pourtant la première à s’offusquer quand des chroniqueurs – ou des sites à potins – tournent les coins ronds à son sujet.

Maintenant, parlons des têtes d’affiche de Québecor, qui écrivent très, très souvent sur ses frasques. La compagnie de disques de Safia Nolin, Bonsound, a publié une lettre ouverte adressée à Sophie Durocher et à Richard Martineau pour qu’ils cessent de l’intimider « au moindre commentaire qu’elle émet ».

Cette sortie en faveur de Safia Nolin était malhabile. En ciblant précisément deux individus, l’étiquette Bonsound aurait dû se douter qu’elle relancerait les hostilités et que ces deux analystes se placeraient dans une position de victime, en criant à la liberté d’expression. Personne ne va leur dicter quoi écrire, bon !

Effectivement, quand Safia Nolin se prononce sur des sujets d’actualité, comme la laïcité de l’État ou l’écriture inclusive, elle s’expose à la critique. C’est vrai. Il y a cependant une différence entre une critique juste et de l’acharnement.

Richard Martineau et Sophie Durocher savent qu’en parlant de Safia Nolin sur toutes leurs plateformes, ils redirigent vers elle des hordes de gens enragés. Ils ne peuvent ignorer leur force de frappe, quand même. Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités, pour citer Spider-Man.

L’autre problème avec le personnage médiatique de Safia Nolin, c’est qu’il y a rarement des débats autour de ses idées ou de son talent. Tout de suite, on attaque son corps, on vise ses vêtements ou on ridiculise son orientation sexuelle. Je ne suis pas fan des chansons de Safia Nolin, loin de là. Mais je ne ressens pas le besoin de lui crier des noms par la tête.

Encore aujourd’hui, des internautes accusent Safia Nolin d’avoir orchestré l’annulation de Maripier Morin en juillet 2020. Fermons ce dossier une fois pour toutes. La seule personne responsable de la chute de Maripier Morin, c’est Maripier Morin elle-même.

Oui, Safia Nolin souffle le chaud et le froid. Ce n’est toutefois pas une raison valable pour la geler avec autant de hargne.