François Bellefeuille a parfaitement encapsulé notre état collectif dans son (tiède) monologue d’ouverture : ce dernier gala Les Olivier aurait pu (et aurait dû) être un courriel.

Ça ne sert ni l’industrie ni les téléspectateurs que de remettre des statuettes devant une salle anesthésiée, distanciée et expurgée de vrai public. Vous savez, le vrai public qui rit de bon cœur et qui n’abandonne pas les présentateurs quand ils s’enfoncent dans une série de gags ratés ? Malaise.

TVA a pris la bonne décision en reportant à une date indéterminée son gala Artis, initialement prévu en mai prochain. Radio-Canada aurait dû imiter son rival et débrancher la fête des Olivier. Car il n’y a pas vraiment eu de spectacles d’humour dans les deux dernières années au Québec. D’où l’abondance de catégories confuses de sketchs web, de balados avec script, de balados sans script (bravo à Sam Cyr et Marylène Gendron, cela dit) ou de séries web humoristiques qui ne mettent pas en vedette Arnaud Soly.

Même l’animateur François Bellefeuille paraissait débiné par la minceur du menu qu’il proposait. Cathy Gauthier, très en verve, a posé la question cruciale : « Qu’est-ce qu’on fait ici, alors qu’il n’y a plus de tournées depuis deux ans ? »

Martin Matte, gagnant pour Les beaux malaises 2.0, a ironisé à propos du parterre vide, conséquence des mesures sanitaires strictes imposées par le gouvernement fédéral : « On ne sait pas où regarder dans cette foule compacte. »

Si les artistes concernés remettent en question leur présence à cette fête, imaginez comment se sentent les téléspectateurs devant leur écran : totalement exclus du party, qui n’a jamais levé.

Mis à part les efficaces Anne-Élisabeth Bossé et Guillaume Pineault, la majorité des duos de présentateurs avait l’air figé sur les pastilles. Ça ne coulait pas de source entre Michelle Desrochers et Simon Delisle, ni entre Simon Gouache et Martin Deschamps, ni entre François Morency et Marie-Ginette Guay. Mais surtout, ce n’était pas rigolo.

Une cérémonie qui célèbre l’humour et qui n’est pas drôle, c’est drôlement inquiétant. Armée de son fusil-canon à trophées, Ève Côté a été la plus grinçante et la plus percutante de la soirée. Mention spéciale à la fausse sitcom Le dépanneur, qui a été remplie de bons flashs. Les entrevues « En attendant le gagnant » ont aussi renfermé des pépites amusantes.

À l’opposé, la parodie de L’autre midi à la table d’à côté a été pénible. Le jeu « Qui se cache derrière la porte : célébrités » a été long et dénué de punchs. Et quand la pub de Maxi avec Martin Matte et Charlotte Cardin frappe davantage l’imaginaire que des monologues livrés par des professionnels, c’est signe qu’il y a un problème.

La plus grande qualité de cette remise de prix aura été de braquer les projecteurs sur Pierre-Yves Roy-Desmarais, l’humoriste le plus talentueux de sa génération. Son message de ne pas prendre le public pour des idiots, la fameuse Thérèse de Trois-Rivières ou la Martine de Sainte-Martine, a résonné très fort.

Hélas, à peine 676 000 curieux ont assisté au triomphe de Pierre-Yves Roy-Desmarais à Radio-Canada, une audience en baisse de 31 % par rapport aux 975 000 adeptes qui ont visionné le gala en 2021. Star Académie (1 409 000) est demeurée au premier rang, et Big Brother Célébrités (644 000) a chatouillé les chiffres des Olivier.

Qui regarde encore ces cérémonies qui ont déjà été prestigieuses et pailletées ? De moins en moins de gens. En septembre dernier, le gala des Gémeaux a poursuivi sa dégringolade, passant de 854 000 téléspectateurs en 2020 à 729 000 en 2021. Affaissement plus dramatique pour l’ADISQ, qui n’a été vu que par 677 000 personnes en octobre dernier, en comparaison avec ses 1 015 000 fans en 2020 et ses 1 230 000 irréductibles en 2019.

Le gala Artis de TVA n’a pas échappé à la dangereuse glissade avec une cote d’écoute estimée à 1 176 000 téléphages, très loin de celle de 1 728 000 mordus mesurée en 2019 (il n’y a pas eu d’attribution de prix Artis en 2020).

En dégringolade vertigineuse, la fête des Oscars, qui se déroulera dimanche à 20 h sur les ondes de CTV et d’ABC, a tenté de dynamiser son spectacle en retranchant des catégories techniques du grand soir. Levée de boucliers immédiate des gens de l’industrie, qui y ont vu un désaveu des métiers dits de l’ombre.

Il se trouve exactement là, le problème : les galas sont coorganisés par des associations professionnelles (humour, télé, cinéma, musique), qui jonglent avec un tas d’enjeux politiques. Si untel de telle écurie monte sur scène, il faut équilibrer avec unetelle de la boîte concurrente, pour ne pas faire de jaloux. Chaque petit choix artistique devient une grosse bataille de coulisse.

Et avant de plaire au public à la maison, les organisateurs préfèrent satisfaire leurs membres, ce qui débouche sur des galas ternes et déconnectés de la réalité populaire.

Il faut se demander pour qui on fabrique ces galas. Pour une industrie qui adore se regarder dans le miroir ? Ou pour la personne qui consomme des films, de la musique, de la télé et des spectacles d’humour ?

L’option 1 donne le gala Les Olivier de dimanche soir. L’option 2 donnerait assurément un meilleur résultat.