Adam Pendleton est l’un des artistes les plus influents de sa génération. L’Américain de 38 ans présente sa première exposition solo au Canada, Ce qu’on a fait ensemble, au Musée des beaux-arts de Montréal, jusqu’au 10 juillet.

Les œuvres d’Adam Pendleton ont été présentées partout dans le monde, de New York à Séoul en passant par Paris, Tel-Aviv et Hong Kong. Son installation Who is Queen ?, qui vient de quitter le Museum of Modern Art (MoMA) de New York, a été porté aux nues par la critique.

Les directions de musées, comme les galeristes et les collectionneurs (notamment la joueuse de tennis Venus Williams) se l’arrachent. Le hasard a fait en sorte qu’il soit programmé ce printemps au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), juste après son triomphe au MoMA.

« Il est l’un des artistes les plus significatifs et importants de sa génération », estime le directeur général du MBAM, Stéphane Aquin, qui l’a connu alors qu’il dirigeait le Hirshhorn Museum à Washington. C’est cependant la conservatrice en chef du MBAM, Mary-Dailey Desmarais, précise M. Aquin, qui a invité Adam Pendleton à Montréal.

« Des musées comme le Musée des beaux-arts de Montréal sont importants, à l’extérieur des grands centres comme New York, pour planter la graine de l’art », croit Adam Pendleton, qui a grandi à Richmond, en Virginie, avant de quitter les États-Unis pour l’Italie, à l’âge de 16 ans, afin de suivre sa vocation.

« J’ai fini le secondaire avec deux ans d’avance. À un très jeune âge, j’ai décidé – ou l’ai-je bien décidé ? – de devenir un artiste. Qu’est-ce que ça veut dire exactement ? Disons que je suis engagé dans une étude profonde de l’art », dit cet érudit au regard brillant.

  • Adam Pendleton au Musée des beaux-arts de Montréal, où il présente sa première exposition solo au pays.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Adam Pendleton au Musée des beaux-arts de Montréal, où il présente sa première exposition solo au pays.

  • Adam Pendleton devant son œuvre de 2021 Untitled (WE ARE NOT)

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Adam Pendleton devant son œuvre de 2021 Untitled (WE ARE NOT)

  • Vue partielle de l’exposition Adam Pendleton : Ce qu’on a fait ensemble

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Vue partielle de l’exposition Adam Pendleton : Ce qu’on a fait ensemble

  • Vue partielle de l’exposition Adam Pendleton : Ce qu’on a fait ensemble

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Vue partielle de l’exposition Adam Pendleton : Ce qu’on a fait ensemble

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Dès ses 20 ans, une galerie de New York, où il s’était installé et vit depuis, acceptait d’exposer ses œuvres. Dans les deux dernières décennies, sa cote n’a cessé de grimper dans le milieu et le marché de l’art. Une galeriste new-yorkaise l’avait suivi à Montréal lorsque nous l’avons rencontré en début de semaine. D’autres galeristes américains suivront au cours des prochaines semaines.

Sa première expo solo au Canada, Ce qu’on a fait ensemble, vaut largement le déplacement. On y retrouve quatre nouvelles toiles monumentales de la série Untitled (WE ARE NOT) et sept dessins de sa série Black Dada, réalisés dans la dernière année. Des œuvres monochromes, conçues avec de la peinture en aérosol, des dessins et des montages photographiques, pour autant de jeux avec les mots.

Adam Pendleton est un philosophe visuel. Un artiste conceptuel, multimédia, multifacettes, qui cherche dans les mots, dans leur sens autant que dans leur graphie et leur esthétique (il affectionne en particulier la police de caractère Arial ), l’inspiration pour ses œuvres denses, complexes, aux couches multiples de chaos et de poésie. Des peintures et dessins qu’il décrit comme « des notes visuelles » de ce qu’il perçoit autour de lui.

Dans son manifeste Black Dada, un cadre artistique avant-gardiste, inspiré par le dadaïsme, qu’il explore depuis 2008 et qui traite notamment de représentation et d’appropriation, Adam Pendleton écrivait : « Black Dada : we are not naïve/Black Dada : we are successive/Black Dada : we are not exclusive… » (Black Dada : nous ne sommes pas naïfs/Black Dada : nous sommes successifs/Black Dada : nous ne sommes pas exclusifs.)

La phrase « We are not » semble être devenue une sorte de leitmotiv. On la retrouve sur les immenses tableaux d’Untitled (WE ARE NOT), qui se font face et se répondent en quelque sorte. Entre différentes formes géométriques, coulisses et éclaboussures, on peut lire, parfois superposés, les mots WE ARE NOT, mais aussi WE ARE ou encore ARE WE NOT. « C’est une question ouverte, comme une ellipse, explique Pendleton. Il n’y a pas de finalité. C’est une déclaration de l’abstraction. »

L’artiste s’intéresse, dans ses toiles, ses films et ses collages, à ce qui est abstrait. À commencer par sa pensée, qui n’est pas binaire. Il réfléchit en particulier à cette manière que nous avons tous, dit-il, de « générer nos propres représentations ».

Nous sommes des individus, mais aussi les parties prenantes d’un collectif. Nous ne sommes pas la perception que les gens ont de nous. Nous sommes les mêmes, mais nous sommes différents. Nous pensons ou ressentons les mêmes choses, mais nous nous représentons différemment.

Adam Pendleton en entrevue

Le langage déconstruit de son œuvre exprime son propre refus des cases et des étiquettes qu’on lui impose depuis le début de sa carrière : afro-américain, gai, etc. Alors même qu’il s’est publiquement exprimé, dans des lettres aux médias, sur le mouvement Black Lives Matter, et que sa récente expo du MoMA, Who Is Queen ?, faisait référence à une insulte homophobe entendue dans son adolescence.

La dernière œuvre de l’expo Ce qu’on a fait ensemble – qui est l’interprétation du « Nous inclusif » par Adam Pendleton – est un court métrage poignant de 13 minutes. Just Back from Los Angeles : A Portrait of Yvonne Rainer est une rencontre de l’artiste avec la danseuse, chorégraphe et cinéaste d’avant-garde octogénaire Yvonne Rainer, tournée en noir et blanc en 2016 dans un dîner de New York.

Yvonne Rainer, que l’on voit danser le solo Trio A en 1966, lit un assemblage émouvant de textes des militants Keeanga-Yamahtta Taylor, Malcolm X et Stokely Carmichael, ainsi que du poète Ron Silliman et d’une amie de la chorégraphe, Barbara Dilley.

Adam Pendleton les fait parler d’une seule voix, par un collage habile de paroles d’hier et d’aujourd’hui, jusqu’aux récits de brutalité policière qui ont coûté la vie à plusieurs Afro-Américains, dont Eric Garner et le jeune Tamir Rice. « La langue et la mémoire sont des choses qui m’intéressent. Quelle voix émerge lorsque plusieurs voix sont lues ? Quelle voix est entendue ? Et à quel moment toutes ces paroles deviennent-elles celles de l’artiste ? »

Il préfère, à l’évidence, les questions aux réponses. Aussi inverse-t-il les rôles lorsque je lui demande si le mouvement Black Lives Matter a influencé ses dernières œuvres. « Je trouve ça beaucoup plus intéressant de savoir comment Black Lives Matter t’a influencé, toi… »

Je lui soumets que, parfois, certains sont exclus du « Nous ». Eric Garner, Tamir Rice et bien d’autres ont été tués par la police parce qu’ils étaient afro-Américains. « C’est ça, le problème, dit-il. Personne n’est jamais exclu du ‟Nous”. C’est la perception de l’exclusion du ‟Nous” qui est la violence, qui est le problème. Évidemment, d’un point de vue pragmatique, les exclusions existent. Mais d’une perspective philosophique, il est très important, lorsqu’on pense au projet humain, à l’humanité, que nous existions tous dans un ‟Nous” qui nous inclut tous. »

En entrevue, comme dans son travail d’artiste, Adam Pendleton demeure sibyllin et énigmatique. « Je pense que c’est important pour chacun de nous de reconnaître à quelles histoires nous sommes liés, dit-il. Pour paraphraser la théologienne publique et légendaire militante pour les droits civiques Ruby Sales : la peau est vide. La peau ne veut rien dire. Mais historiquement, conceptuellement, socialement, nous lui avons attaché un sens. Comment existons-nous en relation avec ce sens et qu’espérons-nous ultimement qu’il s’en dégage ? C’est difficile à dire, parce qu’on donne déjà un sens à cette coquille vide. Mais nous avons besoin que de nouveaux sens et de nouvelles idées émergent, que de nouvelles histoires soient racontées. »

Sans oublier le passé, lui fais-je valoir ? « Le passé est toujours dans le présent. On pourrait presque dire qu’il est facile d’être ignorant, mais peut-être difficile d’oublier. »

Et ces nouvelles idées dont il parle, émergent-elles ? Il hésite. « Oui… Mais on a besoin de trouver une manière de parler d’autre chose, croit-il. On ne veut pas donner de l’oxygène à de vieilles idées. Ça fait partie de l’hésitation que j’ai à répondre à ta question. J’espère de nouvelles conversations. Une partie de la solution, c’est de se consacrer à autre chose, à de nouvelles possibilités et configurations. Pas à ce qui a déjà été dit et redit, fait et refait, dans plusieurs espaces, pays et nations. »

Les artistes témoignent, peut-être mieux que quiconque, de l’époque dans laquelle on vit. Entre le noir et le blanc, dans le discours d’Adam Pendleton comme dans ses œuvres monochromes, il y a bien des zones de gris. Les nuances qui font la richesse des conversations tenues, et de celles qu’il reste à tenir.

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