Dans son anglais mâtiné d’un accent russo-allemand, Anna Sorokin, dite Anna Delvey, a passé neuf épisodes d’Inventing Anna (Netflix) à répéter que son père était riche en ta… Que le virement avait été fait, que l’argent arriverait d’ici quelques jours, qu’il devait sûrement y avoir un problème avec la banque, ah, les transferts internationaux, est-ce que je pourrais emprunter ta carte de crédit ?

Ses créanciers la harcelaient, ses « amies » la confrontaient sur sa présumée fortune, mais rien ne crevait la bulle d’Anna, inébranlable derrière ses lunettes Céline surdimensionnées. Même en prison, Anna n’en démordait pas : son papa réglerait tout ça en puisant dans sa fiducie. Anna Sorokin attend encore ses virements.

La minisérie The Dropout, dont les trois premiers épisodes ont été déposés sur Disney+ en anglais et en français, raconte une histoire similaire (et 100 % véridique) de jeune fraudeuse qui voit grand et qui tombe de très haut. Il s’agit d’Elizabeth Holmes, jouée avec brio par Amanda Seyfried, la patronne déchue de l’entreprise Theranos, qui a promis mer et monde à l’industrie médicale avant d’être engloutie par la vague de ses mensonges.

Bourrée d’ambition (elle apprend le mandarin dans ses temps libres, vous voyez le genre), l’hyper brillante Elizabeth Holmes abandonne la prestigieuse Université Stanford en 2003 pour fonder sa propre entreprise. Ce que cette entrepreneure de 19 ans offre aux investisseurs de la Silicon Valley ? Un bidule portatif de la grosseur d’un taille-crayon qui effectuera une batterie de tests à partir d’une seule goutte de sang. Plus besoin de piqûres, de seringues ou d’éprouvettes pour dépister des maladies, une mini-ponction sur le bout d’un doigt – comme pour les tests de glycémie – suffira. Et l’analyse s’effectuera à la maison, sans gros laboratoire coûteux.

Génial, non ? Elizabeth Holmes et son bébé Theranos séduisent la presse spécialisée et récoltent des millions en financement. La valeur de Theranos grimpe jusqu’à 9 milliards, les contrats avec les sociétés pharmaceutiques s’alignent et la pression augmente sur Elizabeth Holmes, qui n’a pas encore 25 ans, il faut le rappeler.

Contrairement à l’évanescente escroqueuse Anna Sorokin, Elizabeth Holmes en a bavé pour percer la « dudecratie » ou le « boys club » de la sphère technomédicale. Elle a longtemps dormi sur le sofa de son bureau, enchaînant des journées de travail de 20 heures. Elle a furieusement étudié les méthodes de Steve Jobs, d’Apple, et a même copié son uniforme de travail, soit le fameux col roulé noir d’Issey Miyake.

Pour gagner en autorité dans cet univers misogyne, Elizabeth Holmes s’est aussi exercée pendant des heures à baisser sa voix d’une octave. C’est hallucinant de la voir répéter des phrases devant son miroir en ne clignant jamais des yeux. L’actrice Amanda Seyfried accomplit un boulot incroyable dans sa personnification d’Elizabeth Holmes.

La chute de la PDG de Theranos a été plus vertigineuse que son ascension. Un premier résultat truqué a mené à une demi-vérité, qui a débouché sur un tissu de mensonges devenus impossibles à détricoter.

L’ex-femme d’affaires, aujourd’hui âgée de 37 ans, attend sa peine après avoir été reconnue coupable, en janvier dernier, d’avoir sciemment vendu une technologie qui ne fonctionnait pas.

Le cinéaste Adam McKay (Don’t Look Up) prépare actuellement le film Bad Blood sur le fiasco de la société Theranos avec Jennifer Lawrence dans le rôle d’Elizabeth Holmes. Très, très hâte de le voir.

Ces scandales complexes et nuancés, qui ont tous fait l’objet de livres, de balados ou d’articles-fleuves dans le magazine Vanity Fair, sont fascinants à plusieurs égards. Ils incorporent des éléments de tragédies grecques (pouvoir, ambition, trahison, déchéance) et les campent dans le monde actuel, qui valorise la réussite à tout prix. Quitte à tromper ou à voler, il faut écraser, gravir, frauder et monter encore.

PHOTO NIC COURY, ASSOCIATED PRESS

La vraie Elizabeth Holmes lors de son procès. L’ex-dirigeante de Theranos a été reconnue coupable d’escroquerie envers des investisseurs en janvier dernier.

La télé américaine carbure à ces déboires bien réels d’entreprises chouchous – et leurs dirigeants mégalomanes – qui ont récemment déboulé la pente. Le service Apple TV+ lancera le vendredi 18 mars les trois premiers épisodes de WeCrashed à propos de la dégringolade spectaculaire de WeWork, qui offrait des espaces partagés de travail partout dans le monde.

WeCrashed se concentre sur le couple formé par Adam Neumann (Jared Leto) et sa femme, Rebekah (Anne Hathaway), les deux figures charismatiques et narcissiques de WeWork. Avant le grand effondrement, WeWork a orchestré des fêtes déchaînées et nagé dans le fric. Adam et Rebekah, très ésotériques, ont également multiplié les comportements douteux et les chicanes épiques. Bref, tous les ingrédients d’un drame shakespearien se trouvent dans WeCrashed.

Du côté de Crave, la plateforme offre déjà deux épisodes de Super Pumped : The Battle for Uber, qui détaille la guérilla interne qui a évincé le fondateur de son propre service de taxi. C’est Joseph Gordon-Levitt qui incarne le premier grand patron d’Uber, Travis Kalanick, qui emprunte le même vocabulaire pompeux et vide que Kendall (Jeremy Strong) dans Succession.

Espionnage des chauffeurs, fiasco de relations publiques et surveillance de reporters trop curieux, c’est amplement suffisant pour accorder une note de trois étoiles à Super Pumped : The Battle for Uber. Bonus : vous n’avez pas à alimenter de conversation futile pendant votre trajet télévisuel.