C’était dans la nuit, un dimanche, à l’automne 2006. Le téléphone a sonné à 3 h du matin chez Fabienne Larouche, qui écrivait et produisait alors la quotidienne Virginie pour Radio-Canada.

Au bout du fil, le conjoint d’un acteur de la série : « C’est pour vous dire que [nom de l’acteur en question] ne sera pas en studio dans quelques heures. Il a fait une tentative de suicide et il a été admis à l’hôpital. »

Fabienne Larouche a bondi du lit et s’est jetée sur son ordinateur pour retravailler, entre 3 h et 6 h 30, un épisode complet de Virginie. L’acteur en question, qui s’en est heureusement sorti, apparaissait dans les deux tiers des scènes de l’épisode, dont le tournage s’amorçait le lundi à 7 h, soit quatre heures après son entrée à l’hôpital.

Ne sachant pas quand le comédien recouvrerait la santé, Fabienne Larouche a réécrit le scénario en catastrophe pour que les tournages de Virginie se poursuivent sans l’acteur hospitalisé.

Les comédiens du feuilleton ont appris leurs nouveaux textes – fraîchement sortis de l’imprimante – en salle de maquillage ou sur l’heure du lunch. Et l’épisode a été bouclé sans que les téléspectateurs s’aperçoivent du drame qui s’était joué en coulisse.

Parenthèse : non, cet acteur ne faisait pas partie de la distribution principale de Virginie. Il avait décroché un rôle épisodique important.

« Je me souviens très bien de cette journée-là. Ça fait 26 ans que j’écris ou produis une quotidienne à Radio-Canada et, oui, j’en ai vu, des choses. Quand des imprévus arrivent, c’est la force du groupe qui compte. Quand tout le monde se met ensemble, ça déplace des montagnes », détaille l’auteure et productrice Fabienne Larouche.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

La productrice Fabienne Larouche

La fabrication d’une série quotidienne impose ce rythme de travail infernal, qui n’accorde aucun répit aux artisans et ne tolère aucun retard. Le train-fusée quitte la gare à une vitesse folle et ne s’arrête qu’à la destination finale. Le moindre report coûte des dizaines de milliers de dollars, ce que les budgets déjà rétrécis de ces feuilletons ne permettent pas, évidemment.

L’auteur Luc Dionne a vécu un moment similaire le 2 février dernier. C’était un mercredi. Un des acteurs vedettes de sa quotidienne District 31 avait été déclaré positif à la COVID-19. Cet acteur du noyau dur de la série policière jouait dans presque toutes les scènes que l’équipe de District 31 devait mettre en boîte dans les jours à venir. Sans lui, c’était impossible de tourner les épisodes tels qu’ils avaient été écrits par Luc Dionne.

Que faire avec un tel cas de District 911 ? Luc Dionne, les patrons de Radio-Canada et les producteurs Fabienne Larouche et Michel Trudeau, d’Aetios, ont envisagé de suspendre la diffusion de District 31 pendant les Jeux olympiques de Pékin, le temps que l’acteur malade guérisse.

Le hic, c’est que District 31 ne prend jamais de pause. C’est notre phare télévisuel. L’habitude d’écoute est solidement ancrée à 19 h chez les fans. Il fallait continuer.

Mais comment ? Luc Dionne a donc réécrit quatre épisodes en trois jours, soit deux fois plus vite que son rythme habituel déjà très intense. Les textes ont été livrés la veille aux acteurs, qui ont dû les mémoriser encore plus rapidement qu’à l’accoutumée.

Les épisodes en question ont été diffusés cette semaine et déborderont jusqu’à la fin de la semaine prochaine. Avez-vous remarqué une différence ? Pas moi.

Oui, ç’a été rock’n’roll, mais ça fait partie de notre travail. Vous n’avez pas idée de toute la job qui a été faite en postproduction et en montage.

Luc Dionne

Il a donc fallu tisser une courtepointe avec les intrigues déjà amorcées, ramener des personnages pour pallier l’absence du comédien covidé et reporter des intrigues qui n’auraient pas été résolues. Bref, ce fut un casse-tête hyper complexe, qui a été assemblé dans des conditions difficiles.

« Quand je vais mourir, ils vont écrire “résiliente et résistante” sur ma pierre tombale », blague la productrice de District 31, Fabienne Larouche.

Luc Dionne terminera mardi l’écriture de la sixième et ultime saison de District 31, s’il respecte son horaire habituel de travail. Avec les cotes d’écoute stables autour de 1,5 million de téléspectateurs, la pression populaire ne diminue pas, au contraire. « C’est une quotidienne, ça va vite. C’est presque du théâtre filmé, mais les gens s’attendent à de la série lourde tous les soirs », constate Luc Dionne.

Pour les accros qui se grattent le coco, non, le prolifique scénariste n’a pas oublié l’histoire de l’homme brûlé de septembre et la rattachera bientôt à la trame principale. Soyez patients.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE L’ÉMISSION

Gildor Roy dans le rôle du commandant Chiasson.

Vous avez sans doute remarqué que Luc Dionne s’amuse encore plus avec le commandant Daniel Chiasson (Gildor Roy) et son téléphone magique. Ces scènes comiques de tiroir qui sonne ou de département des miracles sont savoureuses. « Pour moi, avec Gildor Roy, c’est le match parfait entre un auteur et un comédien », révèle Luc Dionne.

Par ailleurs, la nouvelle copine de Bruno (Michel Charette), soit la trop gentille Laurie (Jeanne Roux-Côté), est louche et suspecte. Trop parfaite, trop compréhensive, trop tout. Cette Laurie cache quelque chose de pas très net, mais quoi exactement ? On s’entend qu’une femme qui envoie des lettres au psychopathe Yanick Dubeau (Patrice Godin) en prison ne peut pas être à 100 % équilibrée.

Ça ne sent pas bon pour Bruno, tout ça. Ça sent une odeur familière, je dirais.