Le club des contestataires engagés dans une bataille contre Spotify a de nouveaux membres. Après Neil Young, 76 ans, et Joni Mitchell, 78 ans, voilà que les anciens comparses de Young, David Crosby, 80 ans, Stephen Stills, 77 ans, et Graham Nash, 80 ans, leur emboîtent le pas.

Au Québec, seul Gilles Vigneault, 93 ans, a osé se lever jusqu’à maintenant.

Pour ceux qui ne suivraient pas cette affaire, ces artistes boycottent le géant suédois de la musique en ligne parce que parmi les produits qu’il offre, on trouve la balado (nouvelle manne de ces plateformes) de Joe Rogan, ancien champion de taekwondo de 54 ans et ex-présentateur de l’émission de téléréalité Fear Factor.

Avec une approche virile, une arrogance affichée et des questions truffées de gros mots, il réalise des entrevues avec des personnalités provenant de divers horizons, des climatosceptiques, des complotistes, des antivaccins, mais aussi des gens du monde du cinéma et des nouvelles technologies.

Ses sujets de prédilection sont les soucoupes volantes, les drogues psychédéliques et, bien sûr, la COVID-19. Le problème avec Joe Rogan, c’est que certains de ses invités disent des âneries ou des faussetés que l’animateur, de même que son diffuseur, laisse passer.

Ce mouvement de boycottage est né en janvier après que 270 médecins, scientifiques et professionnels de la santé (rejoints par plusieurs autres) eurent signé une lettre exigeant le retrait de l’épisode où Joe Rogan recevait Robert Malone, un médecin qui se présente comme l’inventeur des vaccins à ARN messager et qui milite contre leur efficacité.

Les artistes en guerre contre Spotify rappellent à cette plateforme qu’elle a une responsabilité face aux propos et aux idées qui sont véhiculées dans les balados qu’elle diffuse.

J’ai pris soin de préciser l’âge des rares artistes qui osent dire qu’il faut refuser ce genre de dérapage, car depuis quelques jours, on assiste à une désolante démonstration d’âgisme et de mépris à l’égard de ces géants. Ils sont les seuls à vouloir changer les choses (à l’exception de la chanteuse de R & B India. Arie) et plutôt que de les appuyer et les remercier, on se moque d’eux d’un rire gras et venimeux.

Ce que j’ai lu au sujet du geste de Gilles Vigneault est absolument déconcertant. « Il est encore vivant, celui-là ? », « Gilles Vigneault connaît Spotify ? Ah ben coudon… », « Il y a vraiment des gens qui écoutent du Gilles Vigneault sur Spotify ? », « C’est qui ça, Gilles Vigneault ? », etc.

Un peu plus et certains lui disaient de se réfugier dans une chambre d’un CHSLD de Natashquan.

Gilles Vigneault sait fort bien que son geste a un faible impact sur le plan économique. Mais ce n’est pas ça qui compte pour lui : c’est le message qu’il envoie, c’est l’impact médiatique de son retrait qui est important. Sa décision a fait beaucoup de bruit au cours des derniers jours.

Bien sûr que Gilles Vigneault a moins à perdre en faisant cela qu’une Marie-Mai ou un Marc Dupré.

Ça ne me dérange pas que les jeunes artistes ne prennent pas part à ce mouvement (alors qu’ils dénoncent les faibles revenus qu’ils reçoivent lors des galas musicaux, mais ça, c’est une autre histoire), mais qu’on ne vienne pas mépriser les plus vieux qui ont le cran de mener le combat.

Je suis franchement écœuré de ce regard insolent et dédaigneux que l’on pose sur les plus vieux, dans toutes les sphères de la société. Comme je suis franchement tanné du culte de la jeunesse dont on recherche la présence à tout prix et à toutes les sauces.

Jeune adulte, j’avais un ami qui était très beau. J’avais remarqué que lorsqu’il sortait dans les bars, il ne s’entourait que de gars beaux et séduisants comme lui. J’avais abordé la question avec lui. Il m’avait dit qu’il avait compris que la beauté attire la beauté. « Tu pognes ben plus de cette façon », m’avait-il dit.

C’est un peu cela que l’on fait en ce moment en créant des clans avec les jeunes et ceux qui ne le sont plus. On se frotte à la jeunesse, car elle attire la jeunesse et procure l’impression qu’on en fait encore partie.

Non seulement on dit que les personnes âgées n’ont pas d’avenir, mais en plus, on efface leur passé. On oublie que ces gens ont déjà été jeunes et qu’ils ont gardé certaines habitudes, dont celle de s’indigner.

Pendant qu’on insultait Gilles Vigneault ou qu’on riait de Neil Young, Daniel Ek, PDG de Spotify, réfléchissait dans son coin. En fait, le milliardaire regardait la valeur de son empire baisser en Bourse. Tout en refusant d’attribuer ces mauvais résultats à l’affaire Rogan, il a annoncé une série de mesures pour contrer la désinformation, notamment au sujet de la COVID-19.

On mettra notamment des liens dans les balados traitant de ce sujet qui guideront les utilisateurs vers des informations factuelles et scientifiquement solides.

C’est mou, mais c’est un début, c’est un éveil de conscience.

Spotify et les autres grandes plateformes de musique en ligne savent maintenant qu’il y a des gens, des artistes particulièrement, qui les surveillent et qui sont prêts à agir.

En ce sens, les « vieux » guerriers qui sont montés au créneau nous servent une sacrée belle leçon de courage et d’audace. Espérons que ceux qui les traitent de grabataires agonisants depuis quelques jours retiendront quelque chose de ça.

Après tout, comme le dit Neil Young dans Old Man, une chanson qu’il a écrite en 1972, alors qu’il avait 27 ans : « Vieil homme, regarde ma vie, je te ressemble beaucoup. »