Je prenais un verre de vin en cuisinant et en écoutant de la musique de Noël. Malgré la lourdeur de ce temps des Fêtes, je me disais qu’il fallait respirer par le nez. Et faire des tourtières.

Et puis, la nouvelle est tombée. Renée Martel nous a quittés.

J’ai vérifié plusieurs sources, car je me disais que ça ne se pouvait pas.

Puis j’ai pensé à ce magazine artistique qui, il y a quelques semaines, lui faisait dire qu’elle voulait profiter de la présence de ses petits-enfants, ou quelque chose du genre.

On passe des brocolis et des spaghettis sur le tapis roulant d’une caisse, on voit des titres chocs sur du papier glacé et on se dit qu’ils sont comme tous les autres, un peu forcés.

Celui-là ne l’était pas. Renée Martel savait sans doute que la fin était proche. Mais comme elle a toujours été la discrétion incarnée, il fallait lire entre les lignes.

D’aussi loin que je me souvienne, cette chanteuse a fait partie de ma vie. Mon père, qui avait connu les chansons de son père, Marcel Martel, l’adulait. Ma mère, ma sœur, mon frère et moi n’avions pas le choix : nous devions aimer Renée Martel.

Ce ne fut pas difficile.

Ses chansons régnaient dans la grosse stéréo du salon et triomphaient dans les très nombreux partys du temps des Fêtes (ma famille vient de l’Abitibi… ça fête, ce monde-là).

Cette artiste a créé des succès à la pelle. Liverpool, Je vais à Londres, Viens changer ma vie, Un amour qui ne veut pas mourir, Quand un bateau passe, Prends ma main, Si on pouvait recommencer, Donne-moi un jour, Tout est rose, Finalement et combien d’autres.

J’entends les puristes dire en ce moment : oui, mais c’étaient des traductions de succès américains que ses gérants lui faisaient faire en une journée, qu’elle présentait à Jeunesse d’aujourd’hui et qui étaient en tête des palmarès le lundi.

C’est totalement vrai. Car c’était comme ça dans les années 1960. Sauf que contrairement à beaucoup d’autres chanteuses qui n’ont connu ce plaisir qu’une ou deux fois, Renée Martel a traversé le temps et a atteint le zénith un nombre incalculable de fois.

Soixante-cinq ans de carrière, qui dit mieux ?

Nul doute qu’elle avait l’intelligence et le flair nécessaires pour encercler d’une manière formidable son joli minois et sa chevelure blonde. Et puis, il y avait cette voix… brûlante, vibrante, unique, incomparable.

Cette voix, lorsqu’elle se faisait entendre, apaisait, rassurait.

Cette voix a fait d’elle ce que les médias appellent aujourd’hui « la reine du country ». En fait, Renée Martel a fait oublier les voix grasseyantes et énervantes associées au western et a donné une certaine noblesse à la musique country.

Avec elle, le plaisir coupable n’était plus coupable.

Oui, elle a fait des reprises de succès américains, mais elle est aussi allée vers des auteurs-compositeurs de talent qui lui ont fait des chansons cousues juste pour elle. Elle les interprétait toujours avec cette même voix.

Renée Martel a combattu des démons. Elle en a parlé librement dans une autobiographie et diverses entrevues. Sa relation avec un père distant et autoritaire (devenu jaloux du succès de sa fille), sa relation avec l’alcool, une agression sexuelle à 18 ans après laquelle elle n’a pas reçu le soutien de ses parents… Elle a confié cela au public avec sa pudeur légendaire.

Elle s’est exilée pendant des années au Maroc avant de revenir plus forte, plus sereine.

C’est là qu’elle est devenue une sorte de légende. Tout le monde voulait chanter avec elle, être sur scène avec elle. Les plus vieux, les plus jeunes, les plus fous, les plus sérieux.

Tout à coup, on ne voyait plus la chanteuse populaire que les « chansonniers » regardaient de haut dans les années 1970.

On voyait en cette femme lisse et douce comme un galet celle qui avait réussi à rallier la pop, le country et d’autres genres musicaux. On comprenait que, finalement, celle qui avait le moins de préjugés, c’était elle.

Peu d’artistes au Québec peuvent se vanter de réunir autant de générations autour d’eux. Renée Martel fait partie de ce groupe sélect.

La plus grande réussite de cette artiste aura sans doute été celle-là. Faire les bonnes chansons et offrir des textes qui vont toucher le cœur des gens.

Car c’est tout ce qui comptait pour elle. Elle avait tellement raison.

Le départ de Renée Martel alourdit une période des Fêtes déjà très pénible. Mais, en même temps, la chanteuse nous fait un cadeau énorme, celui de ses chansons.

Si vous avez un creux de vague, je vous le dis, mettez-vous entre les oreilles quelques-uns de ses airs. Sa voix sera un formidable remède.

P.-S. – Chère Renée Martel, mon père a aussi choisi de partir durant la période des Fêtes. Si vous pouviez lui apporter un morceau de tourtière, ce serait apprécié. Il aimait beaucoup Mille après mille, de Willie Lamothe, dont vous avez fait une formidable version. Il va vous accompagner à la musique à bouche, c’est sûr.

Merci d’avance !