L’émotion est montée soudainement, comme une vague à laquelle on ne s’attend pas et qui nous submerge. Ariane Moffatt était sur scène au Théâtre Outremont, à la fin octobre. C’était le premier spectacle de musique que je voyais en salle depuis plus d’un an et demi. J’ai trouvé ça beau à en pleurer.

Samedi, j’étais à la Maison symphonique pour accueillir le nouveau chef de l’Orchestre symphonique de Montréal, Rafael Payare. Le pianiste Inon Barnatan survolait les notes comme une hirondelle pendant le Concerto pour piano no1, de Tchaïkovski. Le plaisir que j’ai eu à retrouver cette salle à l’acoustique exceptionnelle.

Oui, il sera encore permis d’aller voir des spectacles. François Legault et Horacio Arruda l’ont répété plusieurs fois jeudi soir en conférence de presse. « Nous n’avons pas l’intention d’empêcher les spectacles d’avoir lieu sur scène », a déclaré Horacio Arruda, en louant la collaboration du milieu culturel.

J’ai raté le spectacle de Louis-Jean Cormier, deux heures plus tard, au MTelus. « Peut-être notre dernier avant un bout », a regretté Cormier sur son fil Twitter. Le spectacle, initialement prévu le 22 mai 2020 au même endroit, a été reporté au 9 décembre 2020, puis au 15 avril 2021 et enfin au 16 décembre. Un parcours du combattant pour l’artiste et son public.

J’ai hésité à y aller. Il n’y a pas de siège assigné au MTelus. Et il y a des gens vulnérables, à l’état de santé précaire, dans mon entourage. Je suis resté chez moi. Ça me semblait être la chose raisonnable à faire dans les circonstances.

Raisonnable. C’est le mot qui m’est venu spontanément à l’esprit, en écoutant jeudi soir l’adresse à la nation du premier ministre, qui reprenait en quelque sorte son bâton du pèlerin. On l’a dit et redit : s’il a une telle longueur d’avance dans les intentions de vote, c’est aussi parce que François Legault, un as de la communication politique, incarne plus que tous les autres chefs de parti l’image rassurante du bon père de famille.

Il n’en demeure pas moins, et plusieurs dans le milieu de la santé l’ont souligné, que le gouvernement de la CAQ aurait pu davantage anticiper le danger. Le voir venir dans le rétroviseur, comme on nous l’enseigne dans les cours de conduite. La menace, en l’occurrence, d’un nouveau variant signalé en Afrique du Sud il y a déjà 21 jours. En modifiant plus rapidement sa stratégie de vaccination ou en revoyant les jauges à la baisse, par exemple.

Les artistes sont et seront bien sûr découragés par les nouvelles mesures qui leur sont imposées, tout comme les propriétaires de salles de spectacle. Il leur faudra de nouveau revoir la disposition des salles afin de s’assurer de ne pas dépasser la capacité maximale de 50 % de spectateurs à compter de lundi. Les spectateurs devront être assis, porter un couvre-visage (sauf pour manger et boire) et présenter un passeport vaccinal.

« Ce sont des milieux relativement sécuritaires avec ces consignes », a assuré Horacio Arruda. « Des lieux supervisés avec un contrôle du passeport vaccinal à l’entrée », a ajouté François Legault, à l’intention de ceux qui se demandent pourquoi la capacité des salles de spectacle est supérieure à ce qui est permis dans les maisons privées.

« On est tous tannés », a répété François Legault. Le milieu culturel, qui n’a pas été épargné depuis mars 2020, l’est tout autant, à force de devoir revoir la logistique des spectacles et des tournées, constamment reportés.

Les programmes d’aide financière sont en place et les billets qui ne pourront être vendus en raison des jauges COVID seront remboursés, m’a-t-on assuré jeudi. Il reste que quantité de spectateurs ayant déjà acheté des billets pour des évènements à venir – j’en suis et je ne suis pas le seul, à la veille de Noël – vont se demander s’ils seront choisis aléatoirement pour céder leur place.

Surtout que les démarches pour se faire rembourser sont souvent plus compliquées qu’il n’y paraît. J’ai acheté des billets, au printemps dernier, pour un spectacle de musique prévu en septembre. Le prix des billets m’a finalement été remboursé en novembre par le promoteur (Greenland)… à l’exception des frais afférents, qui s’élevaient à 20 % du total ! J’ai posé la question du pourquoi du comment. On ne m’a jamais répondu.

Devant « l’explosion de cas » de COVID, comme l’a expliqué François Legault, le gouvernement n’avait d’autre choix que de limiter la capacité des salles et espérer diminuer la contamination. « Ne prenons pas de risques », a déclaré le premier ministre. Il a raison. C’est ce qui est raisonnable.

La bonne nouvelle, et c’en est certainement une pour l’instant, c’est que malgré toutes les embûches et le casse-tête que cela représente, il y aura encore des spectacles, de l’art vivant, à se mettre sous la dent au cours des prochaines semaines.

The show must go on, comme le disait Freddie Mercury. En ces temps d’incertitude, de déprime covidienne, de vague à l’âme et de grisaille hivernale, on a besoin de cette vague-là, celle de l’émotion brute que procure le spectacle, pour chasser toutes les autres.