Au début de son nouveau spectacle intitulé Mille mauvais choix, présenté mardi soir en première montréalaise au Lion d’Or, Louis-José Houde confie deux regrets : ne pas avoir d’enfant encore, ce qui l’empêchera à jamais d’être un jeune père, et sa participation à l’émission Les recettes pompettes…

À 44 ans, on ne peut pas dire que Louis-José Houde a fait de mauvais choix de carrière. Il est l’un des humoristes les plus établis du Québec, il croule sous les trophées Olivier, tout ce qu’il touche se transforme en or – il a joué dans les mégasuccès De père en flic, on ne voit personne d’autre que lui animer l’ADISQ depuis 2006, et il a vendu 1,3 million de billets depuis ses débuts.

Bref, un parcours sans faute (sauf pour certaines coupes de cheveux).

Mais il en va autrement dans sa vie privée, laisse-t-il entendre dans Mille mauvais choix, qui est le spectacle où il dévoile le plus son intimité, lui qui fuit pourtant comme la peste les confidences dans les médias.

J’ai énormément de gêne à me livrer sur mes affaires publiquement, parce que je trouve ça inintéressant. Mais sur scène, avec ma plume, je n’ai aucun problème.

Louis-José Houde

La prémisse de ce show est née lors d’une improvisation à la fin de sa tournée Préfère Novembre, alors qu’il vivait une rupture amoureuse assez publique avec la comédienne Magalie Lépine-Blondeau. La pause de la pandémie lui a permis d’approfondir des thèmes beaucoup plus sombres qu’à son habitude. « Je fais de l’humour qui rejoint tout le monde, mais pas ce soir », lance-t-il comme avertissement dès l’ouverture.

Et c’est pourtant du Louis-José Houde tout craché, ce show, en mode un peu plus cynique et désabusé, peut-être. Je l’ai vu au Petit Champlain à Québec, car c’était son projet de performer dans de petites salles et de faire une tournée plus courte.

« C’est comme un petit roman ou une longue nouvelle », me dit-il, juste après la représentation, en s’excusant de bafouiller par moments, car il a la « bouche fatiguée » en sortant de scène. Est-ce moi qui m’imagine quelque chose, ou bien son débit si particulier est différent dans ce spectacle ? « Oui, confirme-t-il. J’essaie de mieux cultiver les pauses et les silences. Ma voix donne plus souvent dans les basses. Jouer dans une petite salle, aussi, fait que je ne bouge pas de la même façon, car tu as moins besoin d’en faire physiquement pour toucher tout le monde, et c’est un sentiment très agréable. »

PHOTO LAURENCE LABAT, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Louis-José Houde présente son spectacle Mille mauvais choix depuis plusieurs semaines déjà.

Ça fait quelques mois qu’il rode ce spectacle et j’avais entendu entre les branches qu’il était plus intense, voire plus lourd qu’à son habitude. Personnellement, j’ai beaucoup aimé (et beaucoup ri) de voir un Louis-José Houde moins mignon et plus acide. Mais il reconnaît qu’à ses premières représentations, il a déstabilisé une partie de son public, et qu’il a dû ajuster son ton. Il croit que c’est parce qu’il était encore trop collé aux évènements qu’il raconte. Et d’ailleurs, certains segments touchent des cordes sensibles, les spectateurs font des « hooon » par endroits, comme s’ils exprimaient de la pitié, ce qu’il ne veut surtout pas susciter.

« C’est pour ça que j’essaie de faire le texte avec mon énergie habituelle. Le show est dense, je dois le livrer avec aplomb. Au début, je le faisais trop down. Mais tout ça est derrière moi maintenant. J’aime en parler au passé, qu’on sente que c’est une année de ma vie et qu’on n’est plus tout à fait là. »

Je trouve que l’humour sert bien quand on peut rire vraiment de ses erreurs, de ses petits faux pas, ou de ses mauvais choix. Il ne faut pas le faire avec les larmes aux yeux. C’est un show où il faut rire.

Louis-José Houde

La seule chose que je craignais de Mille mauvais choix était d’assister à un règlement de comptes avec son ex, ou d’entendre encore un humoriste parler de sa crise de la quarantaine (ils l’ont tous fait). Mais Louis-José Houde n’est pas le meilleur humoriste de sa génération pour rien ; il évite ces écueils par des détails qui disent tout et en étant très franc sur lui-même. Ça vient du cœur et du ventre, insiste-t-il. « J’ai essayé d’être le plus honnête possible, en disant que ce qui se passe dans ma vie en ce moment, c’est ça. »

Transfuge social

Et ça, ce sont ses peines d’amour, sa balloune qui dégonfle après avoir acheté une grosse maison à Outremont qui devait accueillir sa future famille pour finir par dormir seul et manger seul à une table vide et trop grande.

Il parle en quelque sorte de sa crise de croissance plus que de la quarantaine, en tant que chouchou du public et artiste privilégié qui gagne très bien sa vie en écrivant des blagues, maintenant entouré de voisins qui sont médecins, avocats ou juifs hassidiques, et bien sûr parents. Il parle de ce sentiment d’absurdité que vivent les transfuges sociaux, car il n’est plus un débutant qui tire le diable par la queue. Lorsqu’il a testé son matériel au Bordel, ses collègues humoristes lui ont d’ailleurs fait remarquer qu’il avait un angle que personne d’autre ne pouvait avoir.

J’aimais le sous-texte voulant que je suis quelqu’un de confortable, mais que je suis tout seul dans ma grosse maison et que ça ne va pas très bien.

Louis-José Houde

Il révèle d’ailleurs dans ce spectacle qu’il a connu la dépression, qu’il lui est arrivé de se rendre à des shows de 1200 spectateurs en pleurant, ce qu’il trouve comique vu son métier. Il prend des antidépresseurs, rejoignant ainsi les langues qui se délient sur la santé mentale. « Quelque part, les gens me voient comme quelqu’un à qui tout sourit. Je mène une très belle vie et je suis très chanceux à plein de niveaux, mais je pense que si je dis qu’en ce moment, j’ai besoin de ça pour tenir la route, il y a peut-être plein de gens à qui ça va faire du bien d’entendre ça. L’objectif est d’être transparent et vrai, je n’ai pas vraiment hésité à mettre ça dans le show. »

Cette révélation ne m’a pas étonnée. J’ai toujours pensé que le métier d’humoriste était à haut risque de débalancement chimique dans le cerveau, quand tu passes ton temps à recevoir les vagues de rires et d’adrénaline sur une scène. Ce que Louis-José Houde raconte sur scène.

« Je pense que ça vient vraiment du fond de mon âme quand je parle de ça. J’ai commencé jeune dans ce métier. Faire rire les gens te met dans une espèce d’état second. Un moment donné, tu oublies de prendre soin de toi pour vrai, t’es tellement toujours sur un high. C’est vraiment ce que la dopamine fait à ton cerveau, quand tu sors de scène quatre soirs par semaine. »

Ça m’a mis dans une espèce de monde parallèle, où c’était dur des fois d’être en couple, de faire des choses simples le dimanche.

Louis-José Houde

Des choses comme quoi ? que je lui demande. « Les petites choses de la vie », répond-il. Mais n’est-il pas un spécialiste des petites choses de la vie dans son art ? « Oui, mais… », laisse-t-il tomber avec un sourire énigmatique, et il ne voudra pas s’étendre sur le sujet. Je détends l’atmosphère en lui disant que s’il veut devenir père sur le tard, il est condamné à sortir avec des femmes plus jeunes, le pauvre. Il m’avoue que ça fait quatre ans qu’il essaie d’écrire une joke sur Mick Jagger, qui a eu un enfant à 73 ans, alors qu’il est arrière-grand-père.

Dire la vérité est rarement un mauvais choix, entre mille autres. Je ne vois pas comment il pourrait regretter de l’avoir fait avec ce nouveau spectacle qui sera présenté pendant peu de temps. Ça vaut vraiment la peine de le voir, car ce n’est pas un « nouveau » Louis-José Houde qu’on y voit. Plutôt un humoriste à un important tournant de sa vie, qu’il partage avec son public, avant d’aller ailleurs.

Mille mauvais choix, en tournée partout au Québec jusqu’en 2022. À noter que 16 nouvelles représentations supplémentaires viennent tout juste d’être ajoutées.

Consultez le site de Louis-José Houde